L'Obs

Jean-Michel Gathy, l’architecte des hôtels chics

D’un fastueux palais à Venise à un hôtel contempora­in à Tokyo, en passant par un “resort” de rêve aux Maldives, ce Belge vivant en Malaisie a imaginé des repaires hors pair sous toutes les latitudes

- Par DORANE VIGNANDO

I l est inconnu du grand public mais connu comme le loup blanc dans le monde de l’hôtellerie de luxe. Aman, Four Seasons, Oberoi, One & Only, Banyan Tree… Jean-Michel Gathy, 63 ans, sympathiqu­e Belge expatrié en Malaisie, a construit et décoré certains des plus beaux refuges de la planète. Le célèbre Setai sur Miami Beach, c’est lui. L’exceptionn­el Chedi à Mascate, ou le futur Aman à New York, c’est lui aussi. Tout comme le Cheval Blanc Randheli aux Maldives, ou encore l’incroyable Marina Bay Sands à Singapour, avec sur son toit, à 200 mètres d’altitude, une piscine de 150 mètres de longueur – l’une des plus spectacula­ires du monde. L’homme bâtit du rêve. Et a compris depuis longtemps que l’architectu­re, sa passion, peut être un business très florissant. Son agence, baptisée Denniston, est une machine de guerre employant 155 personnes. Elle enchaîne les projets sans temps mort, et sans aucune publicité. Hôtel à Lhassa en forme de pagodes, tentes-bungalows bohèmes sur l’île de Moyo (Indonésie), maisons de pierre très nature chic dans un ancien village de pêcheurs fortifié sur l’Adriatique (Monténégro), suites high-tech

dans une tour de Tokyo… L’architecte tout-terrain passe habilement de l’univers occidental aux mondes bouddhiste et musulman. « Le luxe, pour un banquier de New York, c’est le temps ; pour celui de Hongkong, c’est l’espace. Mais avant tout, un hôtel réussi se doit d’être confortabl­e et chaleureux, sinon c’est un décor de théâtre », dit-il.

Né à Bruxelles, élevé à Liège, Jean-Michel Gathy a débarqué à 26 ans en Asie pour un petit job. Une trentaine d’années plus tard, il n’est jamais reparti du continent. Marié à une Sino-Portugaise, il vit dans une jolie maison sur les hauteurs de Kuala Lumpur. Mais sa carrière a débuté à Hongkong, en dessinant des bureaux et des boutiques de luxe pour Rolex, Cartier, Ralph Lauren. Un jour, par le bouche-à-oreille, il rencontre Adrian Zecha, mythique fondateur de la chaîne Aman Resorts. « Zecha a inventé l’hôtellerie que nous aimons, celle qui respecte l’architectu­re du pays, fait pénétrer la nature et la culture locales. Il a redéfini le luxe, le confort, l’espace. J’ai dessiné et construit neuf Aman pour lui, et je suis en train d’en faire un nouveau à New York » : une adresse en constructi­on à l’angle de la 5e Avenue et de la 57e Rue, vouée à être prisée par tous les « Amanjunkie­s », comme sont surnommés ses fidèles et richissime­s clients, George Clooney, Bill Gates, Charles Saatchi, Kate Moss, Mick Jagger et Mark Zuckerberg en tête. « Aujourd’hui, les gens veulent être associés à une image, un lifestyle. Ils veulent être vus dans un certain contexte, là où ils séjournent. » Une sorte de tribu dorée sur tranche ne jurant que par des chambres à 1000 dollars la nuit, quand ce ne sont pas des appartemen­ts décorés clés en main ou un penthouse mis en vente à plus de 110 millions de dollars…

Même s’il s’en défend, Jean-Michel Gathy a un style bien à lui. Avec une propension à tout mettre au superlatif : très cher, très chic, très beau, très grand, très zen, et toujours très discret. Pas de tape-àl’oeil mais du mobilier de qualité, des matériaux artisanaux (cuir vieilli, teck birman, bronze…) mis en scène dans des cadres de carte postale qui sentent bon le tropical chic. Exemple du Cheval Blanc Randheli, aux Maldives, adresse de la collection d’hôtels ultra-sélects lancée par Bernard Arnault chez LVMH : « Au départ, il n’y avait qu’un morceau de sable au milieu de la mer, avec un seul palmier ! Mais le résultat, c’est la déclinaiso­n de l’ultime raffinemen­t à la française », explique l’architecte. Exemple du Setai à Miami, où il a réussi, selon le directeur, Alex Furrer, « à aller à contre-courant du décor parfois ostentatoi­re des hôtels de South Beach, en mélangeant les touches asiatiques et occidental­es dans un concept “fusion Art déco” », accueillan­t ainsi le visiteur dans un lobby tapissé d’antiques briques grises provenant de vieux bâtiments de Shanghai voués à la démolition.

Gathy l’avoue volontiers : « Je suis un romantique, je fonctionne à l’émotionnel. J’aime le glamour, le grandiose. » Lui qui parcourt « plus d’un million de kilomètres par an » a relativeme­nt peu construit en Europe, mais « le monde reste tout petit » pour celui qui a gardé l’accent du plat pays. Car s’il a quitté sa Belgique natale il y a longtemps, il reste très attaché à ses racines, à cette enfance à Liège dans une fratrie de quatre enfants, mère au foyer, père travaillan­t à l’université. Lui se passionne très tôt pour la géographie. « A 7 ans, je ne faisais qu’étudier l’atlas du monde, je dessinais des cartes muettes du Nigeria, du Japon, et je reproduisa­is tous les reliefs, les rivières, les villes. A 9 ans je connaissai­s déjà 162 pays. »

Encore aujourd’hui, entre deux avions, l’homme se drogue de géo. « Avant de plancher sur l’hôtel Chedi de Mascate, à Oman, j’ai visité de fond en comble tout le pays pour m’inspirer des traditions, des géométries des villages. J’ai mesuré les murs des maisons, les fenêtres des forts… » Il se dit « de la vieille école », dessine tous ses plans à la main, « au marqueur Artline 200 pointe 0,4 mm ». Et ne participe à aucun concours. Sauf un, dernièreme­nt, en Arabie saoudite, remporté face à de prestigieu­ses agences comme Jean Nouvel ou Zaha Hadid. « Un truc énorme », dit-il. Comme bien d’autres, Jean-Michel Gathy refuse « de faire de la politique ». Surtout face à ce méga-projet baptisé « Amaala » chiffré à plusieurs dizaines de milliards d’euros, qui fait partie d’un vaste plan d’expansion du tourisme lancé par l’actuel prince héritier, Mohammed Ben Salmane al-Saoud, pour développer certaines zones de la mer Rouge. D’ici à 2023, cette « île bijou » disposera de son propre aéroport, de 2 500 chambres et villas haut de gamme, avec commerces, philharmon­ie, polo-club, musée sous-marin… Une nouvelle destinatio­n pour la jet-set. Reste à rendre l’Arabie saoudite attrayante à l’internatio­nal. Et là, ce n’est pas gagné.

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L’AMAN, NEW YORK.
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 ??  ?? LE CHEVAL BLANC RANDHELI, ATOLL NOONU, MALDIVES.
LE CHEVAL BLANC RANDHELI, ATOLL NOONU, MALDIVES.
 ??  ?? L’AMANWANA, ÎLE DE MOYO, INDONÉSIE. L’AMANNOI, VINH HY, VIETNAM.
L’AMANWANA, ÎLE DE MOYO, INDONÉSIE. L’AMANNOI, VINH HY, VIETNAM.
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