L'Obs

L’observatri­ce

Elle arpente le monde pour filmer les gens, subtilemen­t. Nora Jaccaud est une nomade. Qui a l’élégance pour seul bagage

- par Sophie Fontanel

Nora Jaccaud vient me visiter, un jour de décembre. Elle est de passage à Paris. Elle a 30 ans, moitié polonaise, moitié française, elle a fait des études de chinois, a bossé deux ans à Pékin, et puis un peu partout, est basée à Londres. Enfin, « basée », pas tout à fait. Nora s’allège en permanence. Ces choses qu’on accumule pour se rassurer, cela lui passe par-dessus la tête. Par exemple, elle n’a pas d’appartemen­t. Elle parcourt le monde en filmant des gens en train de raconter à quoi ils occupent leur temps. Son travail est subtil, universel, incroyable­ment humain, et d’ailleurs ça s’appelle « Human postcards » (on trouve le site facilement). France Télévision­s di use une série de ces « cartes postales » venues de loin.

Ce que Nora Jaccaud vient faire ici, dans cette page, c’est que, bien que gagnant correcteme­nt sa vie, elle est nomade et, par conséquent, ne peut jamais s’alourdir d’habits. Elle se promène avec le minimum. Et, comme par hasard, elle est d’une élégance rare. Sans attendre Marie Kondo, et sans être non plus dans une de ces situations extrêmes où les épreuves vous font perdre tous vos biens, Nora vit avec l’essentiel. Elle est jeune et élancée, tout lui irait, tout lui va. Pourtant ce qui me frappe chez elle, c’est que cette frugalité vestimenta­ire la fait particuliè­rement apparaître. Elle « existe » bien davantage que tant d’o cielles parées. Chaque vêtement devient sur elle comme une seconde peau, à force d’être incarné par son âme. Un habit qu’elle achète, d’abord elle le mange des yeux, et ensuite on devine qu’elle s’engage auprès de lui, comme on le fait en amour. Habillée, du coup, elle est comme déshabillé­e, tant son corps et les éto es ne font plus qu’un.

Qu’on ne s’y trompe pas: Nora est loin d’être no look. Elle n’a pas non plus privilégié le confort au point d’en oublier la sophistica­tion. Ce n’est pas une globe-trotteuse, même si son sac est parfois sur son dos. Non, elle, son raffinemen­t absolu est constammen­t là. Je pense à ce mot désuet, il illumine soudain mon esprit : elle est vêtue avec… recherche. Il y a une quête, absolument pas éperdue, au contraire incroyable­ment intuitive, cultivée, et sensuelle et raisonnée dans son rapport à la quinzaine de vêtements qu’elle possède. Une paire de bottines inusables, des baskets « pour ne pas faire de bruit », une chemise blanche pour les sorties, une robe noire stretch, pour les sorties aussi, des escarpins « pour les rendez-vous », un jean, un pantalon plus habillé, deux tee-shirts légers. Elle garde longtemps chaque trouvaille. « Je n’achète rien qui soit lourd, rien qui ne puisse pas être lavé le soir et être sec le matin, rien qui n’aille pas avec le reste, puisque le sel de la vie, c’est de jongler avec quelques choses. »

Elle est là, chez moi, chic et attentive. Je mets ces deux adjectifs ensemble car, justement, le métier de Nora, selon elle, c’est « l’écoute » (elle a fait une conférence TED sur ce sujet). Ce look merveilleu­x mais si épuré, c’est une des paumes que Nora tend aux autres. On pourrait la placer dans n’importe quel milieu, dans n’importe quel pays. Elle admet croiser peu de gens comme elle, car il en faut des concours de circonstan­ces pour devenir cette jeune femme polyglotte, sublime, et intrépide. Quand je la vois partir, dans le couloir qui mène à l’ascenseur, je me dis que si elle s’en donnait la peine, son compte Instagram ferait un carton. Je ne suis qu’une infâme calculatri­ce… et la pureté prend l’ascenseur, en m’envoyant des baisers.

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«ELLE EST LÀ, CHEZ MOI, CHIC ET ATTENTIVE. JE METS CES DEUX ADJECTIFS ENSEMBLE CAR, JUSTEMENT, LE MÉTIER DE NORA, C’EST “L’ÉCOUTE”. »

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