L'Obs

“IL Y AURA UNE RÉCESSION. IL FAUT Y ÊTRE PRÊT”

Selon l’ancien chef-économiste du FMI, le capitalism­e doit évoluer pour répondre aux peurs qui alimentent les courants populistes. Quitte à passer par des restrictio­ns aux mouvements de capitaux et au commerce internatio­nal

- Propos recueillis par CLÉMENT LACOMBE

De plus en plus de grandes institutio­ns s’inquiètent du ralentisse­ment de l’économie mondiale. Ces peurs sont-elles justifiées?

Les expansions, quand elles sont équilibrée­s, ne meurent pas de vieillesse, mais d’un accident. Et l’expansion actuelle est largement équilibrée, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe : il n’y a pas de bulle du logement ni de gros excès financiers, l’inflation n’est pas trop élevée, il y a encore de la place pour une diminution du chômage… Cela étant, les accidents se produisent : une politique stupide de la part des EtatsUnis, une grande guerre commercial­e, un ralentisse­ment très fort de la Chine, un a olement des marchés pour de mauvaises raisons… A un moment ou à un autre, il y aura une récession. Il faut y être prêt.

Des mouvements populistes arrivent au pouvoir un peu partout sur la planète. La France, elle, fait face à la crise des « gilets jaunes ». Quelles leçons en tirez-vous ?

Que la croissance faible, la montée de certaines inégalités, l’inquiétude face au futur, se combinent pour créer angoisse et colère. Que la di culté des gouverneme­nts successifs à contrecarr­er ces e ets amène à un rejet général des politiques et du personnel politique, et à un mouvement vers les extrêmes. Ou vers nulle part… Que le problème est sérieux et qu’il ne disparaîtr­a pas de sitôt.

Que doit-on donc changer dans le capitalism­e pour le rendre plus inclusif ?

Il n’y a pas de secret. Au minimum, il faut d’abord mieux équiper tous les citoyens pour a ronter le monde moderne. En commençant par l’éducation des plus défavorisé­s, en continuant par une vraie formation permanente, l’aide à la reconversi­on, la portabilit­é des droits. Il y a beaucoup à faire. Et, si cela ne su t pas, en redistribu­ant des plus riches vers les plus pauvres : une bonne piste serait un accord internatio­nal, ou juste européen, sur une taxation minimale des profits des multinatio­nales; une piste peut-être plus viable politiquem­ent aujourd’hui qu’elle ne l’a été dans le passé.

Faut-il revenir sur le principe de libre circulatio­n des capitaux? Et quid de la liberté totale du commerce mondial ?

Certains flux de capitaux, ceux qui permettent à des pays plus pauvres de participer aux chaînes de production, d’adopter des technologi­es plus avancées, sont assurément très utiles. Les capitaux qui viennent et repartent au gré des fluctuatio­ns des taux d’intérêt le sont moins. Les pays qui les reçoivent sont souvent mal équipés pour les accueillir et pour s’adapter quand ils repartent. Restreindr­e leurs mouvements me paraît donc raisonnabl­e. De la même façon, le commerce internatio­nal est précieux. Mais s’il profite énormément aux consommate­urs, il fait souvent des perdants chez les producteur­s, avec des conséquenc­es humaines et sociales lourdes. Là encore, certaines restrictio­ns me semblent raisonnabl­es. Par exemple, il ne me paraît pas incongru de vouloir protéger la qualité de l’espace rural, et donc certains petits agriculteu­rs, même si cela implique un coût plus élevé pour les consommate­urs.

Avec les taux d’intérêt très bas, la dette publique est sortie des agendas politiques. A raison?

La dette publique n’est pas, en soi, catastroph­ique. Dans l’environnem­ent de taux d’intérêt bas dans lequel nous sommes et où nous resterons probableme­nt pendant longtemps, le poids de la dette est faible. Ce n’est pas une raison pour l’accumuler. Mais c’est une raison pour ne pas exclure un recours à la dette quand il y a urgence. Par exemple, quand l’économie va mal et que la politique monétaire ne peut pas diminuer les taux d’intérêt parce qu’ils sont déjà à zéro.

Il y a dix ans, Lehman Brothers faisait faillite : le système financier mondial a-t-il changé ?

D’un côté, les banques et la plupart des autres entreprise­s financière­s sont plus solides et plus surveillée­s qu’avant la crise. Le risque qu’elles se retrouvent en di culté est plus faible. C’est un vrai progrès. De l’autre côté, les marchés financiers peuvent toujours être sujets à des embellies et à des e ondrements. Les spéculatio­ns sur le bitcoin et autres monnaies virtuelles le montrent : il semble être dans la nature humaine de passer de l’optimisme excessif au pessimisme injustifié. On n’éliminera pas les bulles, mais on peut espérer en limiter les e ets.

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