“IL Y AURA UNE RÉCESSION. IL FAUT Y ÊTRE PRÊT”
Selon l’ancien chef-économiste du FMI, le capitalisme doit évoluer pour répondre aux peurs qui alimentent les courants populistes. Quitte à passer par des restrictions aux mouvements de capitaux et au commerce international
De plus en plus de grandes institutions s’inquiètent du ralentissement de l’économie mondiale. Ces peurs sont-elles justifiées?
Les expansions, quand elles sont équilibrées, ne meurent pas de vieillesse, mais d’un accident. Et l’expansion actuelle est largement équilibrée, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe : il n’y a pas de bulle du logement ni de gros excès financiers, l’inflation n’est pas trop élevée, il y a encore de la place pour une diminution du chômage… Cela étant, les accidents se produisent : une politique stupide de la part des EtatsUnis, une grande guerre commerciale, un ralentissement très fort de la Chine, un a olement des marchés pour de mauvaises raisons… A un moment ou à un autre, il y aura une récession. Il faut y être prêt.
Des mouvements populistes arrivent au pouvoir un peu partout sur la planète. La France, elle, fait face à la crise des « gilets jaunes ». Quelles leçons en tirez-vous ?
Que la croissance faible, la montée de certaines inégalités, l’inquiétude face au futur, se combinent pour créer angoisse et colère. Que la di culté des gouvernements successifs à contrecarrer ces e ets amène à un rejet général des politiques et du personnel politique, et à un mouvement vers les extrêmes. Ou vers nulle part… Que le problème est sérieux et qu’il ne disparaîtra pas de sitôt.
Que doit-on donc changer dans le capitalisme pour le rendre plus inclusif ?
Il n’y a pas de secret. Au minimum, il faut d’abord mieux équiper tous les citoyens pour a ronter le monde moderne. En commençant par l’éducation des plus défavorisés, en continuant par une vraie formation permanente, l’aide à la reconversion, la portabilité des droits. Il y a beaucoup à faire. Et, si cela ne su t pas, en redistribuant des plus riches vers les plus pauvres : une bonne piste serait un accord international, ou juste européen, sur une taxation minimale des profits des multinationales; une piste peut-être plus viable politiquement aujourd’hui qu’elle ne l’a été dans le passé.
Faut-il revenir sur le principe de libre circulation des capitaux? Et quid de la liberté totale du commerce mondial ?
Certains flux de capitaux, ceux qui permettent à des pays plus pauvres de participer aux chaînes de production, d’adopter des technologies plus avancées, sont assurément très utiles. Les capitaux qui viennent et repartent au gré des fluctuations des taux d’intérêt le sont moins. Les pays qui les reçoivent sont souvent mal équipés pour les accueillir et pour s’adapter quand ils repartent. Restreindre leurs mouvements me paraît donc raisonnable. De la même façon, le commerce international est précieux. Mais s’il profite énormément aux consommateurs, il fait souvent des perdants chez les producteurs, avec des conséquences humaines et sociales lourdes. Là encore, certaines restrictions me semblent raisonnables. Par exemple, il ne me paraît pas incongru de vouloir protéger la qualité de l’espace rural, et donc certains petits agriculteurs, même si cela implique un coût plus élevé pour les consommateurs.
Avec les taux d’intérêt très bas, la dette publique est sortie des agendas politiques. A raison?
La dette publique n’est pas, en soi, catastrophique. Dans l’environnement de taux d’intérêt bas dans lequel nous sommes et où nous resterons probablement pendant longtemps, le poids de la dette est faible. Ce n’est pas une raison pour l’accumuler. Mais c’est une raison pour ne pas exclure un recours à la dette quand il y a urgence. Par exemple, quand l’économie va mal et que la politique monétaire ne peut pas diminuer les taux d’intérêt parce qu’ils sont déjà à zéro.
Il y a dix ans, Lehman Brothers faisait faillite : le système financier mondial a-t-il changé ?
D’un côté, les banques et la plupart des autres entreprises financières sont plus solides et plus surveillées qu’avant la crise. Le risque qu’elles se retrouvent en di culté est plus faible. C’est un vrai progrès. De l’autre côté, les marchés financiers peuvent toujours être sujets à des embellies et à des e ondrements. Les spéculations sur le bitcoin et autres monnaies virtuelles le montrent : il semble être dans la nature humaine de passer de l’optimisme excessif au pessimisme injustifié. On n’éliminera pas les bulles, mais on peut espérer en limiter les e ets.