L'Obs

L’otage américain

Ex-cadre d’Alstom condamné aux Etats-Unis, Frédéric Pierucci livre un récit édifiant sur les dessous de la justice anticorrup­tion américaine

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I l avait tout. Une belle carrière, une femme et quatre beaux enfants, un brillant avenir. Sa vie s’est brisée le 14 avril 2013, à sa descente d’avion à New York. La nuit suivante ainsi que les 365 suivantes, Frédéric Pierucci, alors haut cadre chez Alstom, les a passées en cellule, revêtu de l’uniforme kaki de la prison de haute sécurité de Wyatt, dans le Rhode Island. Allongé sur sa paillasse, tellement étroite (50 centimètre­s de large) qu’il lui faut arrimer matelas, couverture et draps avec de gros noeuds pour éviter les chutes, il a eu le temps de ressasser, encore et encore, pour comprendre comment ce piège maléfique s’était refermé sur lui.

Quelques semaines plus tôt, en compagnie de Patrick Kron, le PDG d’Alstom, Frédéric Pierucci, directeur monde de la division chaudière (4000 salariés, 1,4 milliard d’euros de chi re d’a aires), grignotait encore des petitsfour­s lors d’une réception somptueuse donnée au Marina Bay Sands, le restaurant le plus couru de Singapour. Il n’ignorait pas que son entreprise était la cible de plusieurs enquêtes à travers le monde pour des faits de corruption. Mais il était loin d’imaginer qu’il en serait la principale, et quasiment la seule, victime…

« Le Piège américain » : c’est ainsi qu’il a titré son témoignage, écrit avec l’aide de notre journalist­e Matthieu Aron (1). Le récit est haletant, mêlant scènes de vie et enquête de fond sur les arcanes du FCPA (la loi anti-corruption) et sur la vente d’Alstom à General Electric en 2015. L’occasion d’une galerie de portraits hors norme, comme ceux de Jacky, figure légendaire du grand banditisme, rare survivant de la French Connection, qui le prend sous son aile dans la prison ; de Chuck, ancien Hells Angel imbattable aux échecs ; de Muay Thaï et « Hollywood », mercenaire­s slovaque et allemand ; ou de Madame Watson, 1,50 mètre et une énergie débordante, professeur­e pour les prisonnier­s. On y découvre aussi, avec effarement, les rouages de la justice américaine, où tout se négocie, où tout a un prix. Pour l’avoir ignoré, Frédéric Pierucci, finalement licencié d’Alstom après avoir plaidé coupable, a passé vingt-cinq mois dans les geôles américaine­s. Sans qu’aucun des grands responsabl­es de son entreprise, démantelée après le paiement d’une amende astronomiq­ue de 772 millions de dollars, ne soit jamais inquiété. C . M A. « Le Piège américain. L’otage de la plus grande entreprise de déstabilis­ation économique témoigne », par Frédéric Pierucci, avec Matthieu Aron, éd. JC Lattès, en librairies.

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