L’art d’être père
COMME À LA GUERRE, PAR JULIEN BLANC-GRAS, STOCK, 286 P., 19,50 EUROS.
Mes statistiques personnelles sont formelles. Les jeunes parents qui vous bassinent avec leurs expériences de jeunes parents sont vite pénibles. Bizarrement, Julien Blanc-Gras (photo) ne l’est jamais, alors qu’il ne nous épargne ni les premières insomnies de son minuscule héritier, ni sa première phrase (« “apotéouwet”, qu’on traduira facilement par : la porte est ouverte »), ni même l’attitude profondément réactionnaire des « enfants de moins de trois ans » face aux questions de genre : « Tout porte à croire qu’ils n’avaient jamais entendu parler de Judith Butler. L’Enfant s’était déguisé deux fois en fée, ça l’avait amusé cinq minutes et il était reparti jouer avec son épée en costume de Spiderman. » Faut-il en déduire que Julien Blanc-Gras, l’air de rien, sait l’art de transformer sa vie en littérature ? C’est bien possible. On s’en doutait pour avoir lu ses excellents récits de voyage en riant beaucoup. Cet Albert Londres en tee-shirt le confirme ici en biberonnant du Péguy : « Il n’y a qu’un aventurier au monde, et cela se voit très notamment dans le monde moderne : c’est le père de famille. »
« Comme à la guerre » n’est pourtant pas qu’un sympathique « Guide du moutard » barbouillé d’humour. C’est la confession d’un parent du siècle pour qui « la guerre était un truc de vieux » et à qui l’Histoire semblait promettre un avenir désirable, jusqu’à ce qu’il découvre, comme tout le monde, à l’âge des massacres de dessinateurs et des salons du survivalisme, que « les lendemains chantaient faux ». « J’ai tellement hésité à me reproduire », note le narrateur. A 40 ans, le voilà qui médite sur l’amour au temps des attentats et cherche, entre deux tueries dans Paris, de quoi relativiser « la sensation d’être cerné par l’apocalypse ». Il trouve ses remèdes à la fois en amont, dans le journal tenu par son grand-père sous la mitraille en 1939-1940, et, en aval, dans le rire baveux de son fils. Résultat : son propre livre est, lui aussi, un impeccable antidote au désespoir et à la bêtise.