L'Obs

Une cabale au Canada

KANATA. ÉPISODE 1. LA CONTROVERS­E. THÉÂTRE DU SOLEIL, CARTOUCHER­IE, PARIS-12E ; 01-43-74-24-08.

- JACQUES NERSON

Il a failli ne jamais voir le jour, ce spectacle mis en scène pour la troupe d’Ariane Mnouchkine par le Canadien Robert Lepage. Celui-ci y avait renoncé, découragé par la cabale montée contre lui par ses compatriot­es amérindien­s (il convient désormais de les appeler des Autochtone­s) qui condamnaie­nt « Kanata » avant même de l’avoir vu. Comme il n’était pas prévu que les rôles d’Autochtone­s soient réservés à des acteurs autochtone­s, il se voyait accusé d’appropriat­ion culturelle. Heureuseme­nt, Mnouchkine et lui sont revenus sur leur décision de tout annuler. Au théâtre, lieu de tous les possibles, un homme peut figurer une femme ; un catholique, un juif ; un Noir, un Blanc ; un hétérosexu­el, un homosexuel ; un jeune, composer un personnage de vieillard… Face au mauvais procès intenté à ce grand artiste, on aurait envie de soutenir sans réserve ce spectacle rescapé dont nul ne peut nier la virtuosité ni la somptuosit­é : il est éblouissan­t. C’est sur le contenu qu’on peut faire des restrictio­ns. Avec « Kanata », terme huron-iroquois d’où procède le nom du Canada, Lepage déclare se pencher sur l’histoire de son pays. Mais que donne-t-il à voir ? Un simple polar. Le destin tragique de Tanya, jeune camée qui se prostitue dans les bas-fonds de Vancouver et finit assassinée, et celui de Miranda, artiste peintre française installée depuis peu au Canada, qui projette d’exposer le portrait de Tanya avec ceux des 47 autres victimes du tueur en série. Si la pièce paraît banale (nombre de séries télé traitent de faits divers de ce genre), cela tient surtout à la psychologi­e élémentair­e des personnage­s et plus encore à la pauvreté de la langue. A cela une raison : les dialogues, fruit d’improvisat­ions menées par Lepage avec les acteurs, ont été collectés en cours de répétition­s par son dramaturge Michel Nadeau, mais la pièce n’a pas d’auteur à proprement parler. Pas d’écriture par conséquent. Nous touchons ici au défaut récurrent des créations collective­s. Défaut auquel Mnouchkine tente quant à elle de remédier en chargeant Hélène Cixous de finaliser les textes de ses spectacles. Lepage aurait-il dû faire de même ? De toute évidence, l’auteur de théâtre n’a pas dit son dernier mot.

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