L'Obs

La mémoire dans la peau

L’EMPREINTE, PAR ALEXANDRIA MARZANO-LESNEVICH, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR HÉLOÏSE ESQUIÉ, SONATINE, 480 P., 22 EUROS.

- ÉLISABETH PHILIPPE

Le droit, Alexandria Marzano-Lesnevich (photo) a ça dans le sang. Ses parents étaient tous deux avocats. Enfant, elle accompagna­it sa mère à la fac et passait du temps dans le bureau de son père dont elle côtoyait les clients. Il lui est même arrivé d’offrir des cubes au fromage à l’un d’eux : un tueur à gages. Lorsqu’elle entre à Harvard des années plus tard, elle se destine tout naturellem­ent à suivre la voie familiale. Pour son premier stage, elle intègre un cabinet basé en Louisiane, spécialisé dans la défense des condamnés à mort. Parmi les clients, un certain Ricky Langley, pédophile accusé du meurtre du petit Jeremy, 6 ans. Devant les aveux de ce tueur présumé, les certitudes de la jeune femme s’effondrent. Une seule pensée la traverse : « Je veux que Ricky meure. » Parce qu’à ce moment-là, malgré sa formation, malgré son engagement, tout ce qu’elle sent en entendant Langley raconter les sévices qu’il a infligés à des enfants, ce sont les mains de son grand-père sur elle quand elle n’était qu’une fillette. Le bruit de ses pas dans l’escalier à la nuit tombée, les menaces chuchotées, la lampe jaune qu’elle fixe pendant qu’il la touche. Des souvenirs recouverts par des années de silence et de déni. Seul son corps en a gardé la mémoire. Son anorexie, ses cicatrices intimes, comme autant de pièces à conviction. Alexandria Marzano-Lesnevich abandonne le droit et se tourne vers l’écriture. Pour tenter de comprendre son histoire, elle va mener une double enquête. En reconstitu­ant minutieuse­ment l’itinéraire de Ricky Langley, elle parvient à rassembler les morceaux épars de sa propre vie, tissant des liens insoupçonn­és entre le criminel et elle. « La façon dont vous jugez tient à la façon dont vous racontez l’histoire », écrit l’auteure. Pour sa part, elle prend le parti de mêler introspect­ion, document, essai et fiction. D’une incroyable puissance narrative, « l’Empreinte » remue et renouvelle le genre du roman-vérité à la « De sang-froid » de Truman Capote. Plus personnel, il n’en marque que plus profondéme­nt.

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