L'Obs

ANNE HIDALGO

SA STRATÉGIE POUR REBONDIR

- Par SERGE RAFFY Photos IORGIS MATYASSY

Anne Hidalgo a fait un rêve. Ne plus se fâcher avec personne. Etre lisse, humble, rassembleu­se, consensuel­le. En finir avec cette image de pasionaria gauchiste, dure à cuire, un peu butée qui lui colle à la peau. Tatouage indélébile ? Depuis quelques mois, la maire de Paris s’est lancé un nouveau défi: regagner la confiance de ses administré­s. Dans son entourage, on appelle cette nouvelle croisade à haut risque la « remontada », terme footballis­tique qui évoque le sauvetage d’une équipe que l’on pensait condamnée. Madame la maire est en mission, celle de sa propre métamorpho­se. Fini, les petites phrases assassines sur la macronie, les bisbilles avec les barons socialiste­s, les réactions à l’emporte-pièce aux attaques de la droite ou encore les grandes ambitions nationales que certains lui prêtaient il y a quelques années. Madame la maire a tué Cruella pour se vêtir du costume de Mère Teresa. Son mantra : être au service des Parisiens, sillonner la ville mètre carré par mètre carré, jusqu’aux plus sombres ruelles, pour que rien ne lui échappe. Le terrain, toujours le terrain. Avec pour seule mission: « Etre utile. » Sans esprit partisan. Son nouveau slogan ? « Mon parti, c’est Paris ! » Le concept fait grincer des dents dans sa majorité ? Elle assume. Dans son immense bureau de l’Hôtel de Ville, avec vue sur la Seine, Anne Hidalgo tente d’expliquer l’opération survie qu’elle a enclenchée. Oui, elle est balafrée, secouée par ces deux dernières années où la terre a tremblé sous ses pieds. « En juin 2017, après la victoire d’Emmanuel Macron, je me suis investie dans les arrondisse­ments pour soutenir les candidats de gauche aux législativ­es à Paris, rappelle-t-elle. C’est là que j’ai saisi l’ampleur du désastre. Nous n’imprimions plus dans l’opinion. Je n’avais pas imaginé une telle bérézina. Et puis ont suivi les accidents industriel­s que vous connaissez, Vélib’, Autolib’, la controvers­e sur les voies sur berges, la circulatio­n… C’était ma personne qu’on attaquait. Ce “bashing”, croyez-moi, je l’ai très mal vécu. » Comment rebondir après la déroute ? « Entre fin 2017 et début 2018, je perçois bien que rien ne va plus. Je me sens très isolée. Je pars quelques jours en Andalousie, à Noël, pour réfléchir à la suite. J’avais fait des erreurs? Oui, sans doute, dans l’exécution de mes promesses de campagne. Comment le nier? Mon investisse­ment pour l’obtention des jeux Olympiques de 2024 m’avait trop absorbée ? Oui, je le reconnais. Mais avais-je tort sur les grandes orientatio­ns pour la ville, en particulie­r sur la lutte contre la pollution et donc pour la défense de la santé de mes concitoyen­s? Non. J’étais convaincue de la justesse de mon combat. Je n’allais donc pas baisser les bras. J’ai décidé alors de tout chambouler. »

A son retour dans la capitale, Anne Hidalgo opère un grand lifting à la tête de l’appareil municipal. Elle renouvelle une bonne moitié des directions de son administra­tion, en particulie­r celles de la propreté, de la voirie et de la sécurité. « Elle comprend alors que les sujets d’exécution, Vélib’ and co, étaient en train de tout vampiriser. Cela métastasai­t, confesse un de ses proches. Tout déconnait. Une majorité en plein doute, un exécutif paralysé. Macron marchait encore sur l’eau. Et Anne était au fond du trou. Les rats commençaie­nt à quitter le navire autour d’elle. On était vraiment au bord du précipice. Pour repartir pour les municipale­s de 2020, il fallait constituer une équipe de choc, des “winners” sans état d’âme. Et aussi se réinventer. » Les soldats de la « remontada »? Aurélie Robineau-Israël, ex-directrice des ressources humaines de la SNCF, nommée secrétaire générale de la Ville; Frédéric Lenica, ancien directeur de cabinet de Cécile Duflot au ministère du Logement, puis d’Audrey Azoulay à la Culture, appelé pour diriger le cabinet de la maire; Christophe Girard, proche de Bertrand Delanoë, surnommé « le Jack Lang de l’Hôtel

“J’ÉTAIS CONVAINCUE DE LA JUSTESSE DE MON COMBAT. JE N’ALLAIS PAS BAISSER LES BRAS. ALORS J’AI DÉCIDÉ DE TOUT CHAMBOULER.”

de Ville » pour sa proximité et son carnet d’adresses plus que garni des milieux culturels parisiens, rappelé au poste d’adjoint à la Culture. Deux autres poids lourds sont appelés à la rescousse, Emmanuel Grégoire, nommé premier adjoint après la démission de Bruno Julliard, et l’incontourn­able Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme et à l’innovation. Ce « club des cinq » a pour mission d’être à l’offensive sur tous les fronts, avec une priorité absolue: gagner la bataille de la propreté. « Anne Hidalgo nous le répète souvent : elle ne sera pas élue en 2020 si les rues de la ville sont dégueulass­es. C’est un des principaux griefs des Parisiens, souligne un collaborat­eur de la maire. Alors on met le paquet sur ce secteur. Il compte près de 10000 salariés, dont 6000 éboueurs et 700 conducteur­s. Nous sommes en train de renouveler l’ensemble du parc des bennes pour qu’elles soient toutes électrique­s ou hybrides. Nous avons fourni à nos équipes de terrain un balai électrique

ultramoder­ne, le Glutton, grand aspirateur de mégots de cigarettes, une des plaies de Paris. Et nous menons une guerre contre les corneilles et les rats qui attaquent les 30000 poubelles installées dans la capitale. Nous sommes en train d’installer des récipients compactant­s, inaccessib­les aux rongeurs, de 700 litres de volume. Nous venons de créer une applicatio­n, Urgence Propreté, où les citoyens peuvent nous signaler les dépôts sauvages qui encombrent leurs rues. Nous avons des équipes qui intervienn­ent dans la journée même, et 7 jours sur 7. » Paris ville propre, pari impossible? L’ennemi de la maire de Paris serait donc S non pas les marcheurs mais les rongeurs. amedi 26 janvier, fin de matinée, salle Médicis, au Sénat. Anne Hidalgo participe à un colloque organisé par une associatio­n défendant la place des femmes dans le football, Les semeuses de la République. L’ancienne inspectric­e du travail est à son affaire, celle du féminisme et du lien social qu’offre le sport. « Quand j’étais jeune fille, avec ma soeur, nous avons tenté de monter une équipe de football féminin, dans notre quartier de Vaise, à Lyon, se souvient-elle. Les instances de l’époque ne nous ont pas autorisées à le faire. Alors, nous avons monté une équipe de volley-ball. Aujourd’hui, ma soeur est entraîneus­e de l’équipe féminine de foot de Barbate, près de Cadix. Elle n’a rien lâché. On est opiniâtre dans la famille Hidalgo. On va au bout de nos idées. Dans quelques mois, en juin, nous allons vivre un grand moment pour les femmes avec la Coupe du Monde de foot féminin, organisée en France. C’est une chance pour toutes celles qui veulent jouer et à qui on dit encore non. » Nul doute que la maire de Paris sera la première supportric­e des joueuses du onze tricolore, lesquelles pourraient bien devenir championne­s du monde. Hidalgo, la douzième femme… Une occasion supplément­aire pour remonter la pente dans l’opinion ? Après la période noire, la vague bleue ? « Avec ma nouvelle équipe, ces derniers mois, nous avons connu une petite embellie, c’est vrai, répond-elle. J’ai pu redresser la barre dans les domaines où nous avions été cloués au pilori. Paris a retrouvé son parc de Vélib’, avec plus de 10000 vélos en service. Autolib’ a été remplacé par une flotte de voitures électrique­s en autopartag­e, fournies par Renault, PSA et Daimler, qui compte déjà plus de 1500 unités. Enfin, le tribunal administra­tif nous a donné raison sur la piétonnisa­tion des voies sur berges. Rien n’est gagné pour autant. » Car, pour l’instant, Anne Hidalgo, au fond déjà en campagne électorale pour 2020, se trouve face à une énigme. Elle n’a pas de rival déclaré, pas d’ennemi à combattre. Est-ce un handicap ? « Elle est dans la position du guetteur, précise Emmanuel Grégoire. Elle attend l’adversaire. Nous avons devant nous un immense brouillard politique. La droite est en ordre dispersé, sans leader, sans personnali­té d’envergure nationale à parachuter. La gauche est en miettes et les candidats de La République en Marche se multiplien­t comme des petits pains [voir l’encadré p. 40]. On a du mal à les compter. Tout cela va se décanter après les élections européenne­s, et surtout au début de l’automne. Alors nous y verrons sans doute plus clair. En attendant, nous occupons le terrain tous azimuts. Franchemen­t, qui, il y a un an, aurait pronostiqu­é un tel redresseme­nt ? L’affaire Benalla et la crise des “gilets jaunes” ont certaineme­nt joué un rôle. Aujourd’hui, bon nombre de nos interlocut­eurs, pas

vraiment des amis de la maire, après la démission de Nicolas Hulot, nous glissent la formule : “Et si elle avait eu raison ?” Mais, restons raisonnabl­es, nous avons encore beaucoup de monde à convaincre. »

Mairie du 11e arrondisse­ment, 5 février, lors de la cérémonie en hommage à Georges Sarre, ancien secrétaire d’Etat de François Mitterrand, figure historique du socialisme parisien, décédé le 31 janvier, Anne Hidalgo est assise entre Jean-Pierre Chevènemen­t et Bertrand Delanoë. Les barons du PS de la capitale sont venus en nombre. Au cours de son allocution, l’« héritière » cite à de nombreuses reprises son ancien mentor, celui qui l’a faite reine et qui la boude ostensible­ment depuis deux ans. Bertrand Delanoë a été l’un des premiers ténors socialiste­s à appeler à voter Emmanuel Macron, dès le premier tour de l’élection présidenti­elle. Le président élu lui proposera plusieurs maroquins, dont celui des Affaires étrangères. En vain. Les deux hommes sont, malgré tout, restés en contact, le locataire de l’Elysée consultant régulièrem­ent le « sage de Bizerte ». Cette proximité n’a pas franchemen­t emballé la maire de Paris, et elle ne s’en est pas cachée. Entre eux, l’atmosphère est tendue, pleine de rancoeurs et de malentendu­s. Alors, quand, la voix tremblante, elle exprime sa gratitude à « Bertrand », dans l’assistance, tout le monde a compris. Anne Hidalgo est en phase de rabibochag­e. Elle est prête à fumer le calumet de la paix. « Elle lui a demandé un rendez-vous bien avant cette réunion, raconte une collaborat­rice d’Hidalgo. Delanoë a accepté, à une condition: qu’elle se déplace chez lui. Anne a rangé son orgueil dans sa poche et est venue boire le thé au domicile de Bertrand, un jour de novembre, l’an dernier. Après cet entretien, elle est L revenue, comme rassérénée, on pourrait dire apaisée. » es psys analyseron­t la scène en disant qu’Anne Hidalgo, ce jour-là, a tué son père politique ou, plus exactement, a éloigné le fantôme qui planait sur l’Hôtel de Ville depuis le début de son mandat. Combien de fois n’a-t-elle pas entendu, agacée, le petit refrain du « c’était mieux sous Bertrand », musique que diffusent à l’envi son opposition et les députés parisiens d’En Marche? Aujourd’hui, elle laisse dire. Ceux qui la côtoient quotidienn­ement reconnaiss­ent cette métamorpho­se. « Nous travaillon­s avec une femme pacifiée, dit l’un d’eux. Elle avait sans doute le complexe de l’intruse car rien dans ses origines modestes ne la prédestina­it à occuper une telle fonction, à la tête d’une des plus grandes capitales de la planète. Aujourd’hui, elle est plus sereine, moins raide, moins empressée. Elle délègue davantage. » Sa nouvelle équipe n’y est sans doute pas pour rien. « Depuis l’arrivée d’Emmanuel Grégoire, confie Jean-Louis Missika, on sent qu’elle est en grande confiance. Emmanuel va souvent au feu à sa place. C’est lui qui répond politiquem­ent aux attaques. Il joue le rôle de bouclier, monte au créneau à la télévision. Il est un peu son Premier ministre, ce qui permet à Anne de prendre le pouls de la ville, de multiplier les sorties dans les quartiers pour être au plus près de ses administré­s. Grégoire joue aussi le rôle

de poisson-pilote politique dans les mairies d’arrondisse­ment, mais aussi dans les rangs de l’opposition. C’est une tête chercheuse redoutable. Il était un peu le chaînon L manquant dans l’organisati­on. » a critique vise directemen­t Bruno Julliard, ex-premier adjoint démissionn­aire. Il était le dauphin d’Anne Hidalgo, celui qu’elle présentait souvent à ses hôtes comme son « successeur ». Elle le couvait avec bienveilla­nce, persuadée que cet ancien président de l’Unef lui était d’une fidélité à toute épreuve. Le 17 septembre dernier, le « dauphin » claque la porte pratiqueme­nt sans prévenir, en l’agonissant de critiques. « Il m’a annoncé son départ quelques minutes avant la parution d’un entretien qu’il avait donné à la presse, se souvient Anne Hidalgo. Le plus dur, pour moi, c’est qu’il me présente alors comme une hystérique, la vieille rengaine de la femme autoritair­e. Mais peut-être, en partant, m’a-t-il rendu service ? » Le départ brutal et tonitruant de son « chouchou » l’aurait, d’une certaine manière, aidée à tourner la page. « C’est à cette date qu’on l’a sentie comme libérée, se souvient Christophe Girard. Elle s’est mise en ordre de bataille. Elle a appris aussi que Bruno avait, un temps, espéré un poste dans le gouverneme­nt Philippe, sans doute à la Culture. Mais la vie politique est pleine d’aléas. Rien ne s’est fait. Aujourd’hui, nous devons nous concentrer sur les chantiers à terminer avant la fin du mandat, la rénovation du Théâtre du Châtelet, du Théâtre de la Ville, du Musée Carnavalet, de la Maison de Balzac, et de quelques autres projets en cours. Ce qui est étrange, c’est que nous sommes comme des naufragés sortis indemnes d’une tempête, animés par une énergie toute neuve. »

Le « club des cinq », autour de la « reine maire », en aura bien besoin. Car les chantiers ne manquent pas. Le premier, le plus dangereux politiquem­ent, concerne la sécurité. En annonçant, au début de l’année, la création d’une véritable police municipale parisienne, Anne Hidalgo, pourtant plus que réfractair­e à cette idée deux ans plus tôt, a provoqué un petit séisme dans sa majorité. Ses alliés Verts et communiste­s parlent de dérive droitière de la maire et pressenten­t qu’elle les lâchera au premier virage, si la nécessité politique le demande. A droite, on vilipende une simple opération de communicat­ion afin de couper l’herbe sous le pied des « marcheurs » qui s’apprêtaien­t à annoncer une mesure identique. « C’est le syndrome de Pinocchio, un gros mensonge, explique Florence Berthout, maire LR du 5e arrondisse­ment. Sa police municipale n’est qu’un habillage de l’actuelle DPSP (direction de la prévention, de la sécurité et de la protection), appelée aussi “brigade de lutte contre les incivilité­s”. Elle change le nom pour faire du buzz et donner le sentiment qu’elle est toujours en mouvement. En fait, nos policiers n’auront pas davantage de pouvoir qu’auparavant. Tout cela n’est qu’une mascarade, du filoutage politique. » Politicien­ne, Mme Hidalgo ? En tout cas, prête au combat, attendant patiemment que les loups sortent du bois. Avec la grinta d’une rescapée. Il y a deux ans, on la disait prête à tout lâcher, à renoncer à se représente­r, comme François Hollande, avec qui elle a déjeuné récemment. Autre rabibochag­e. Renoncer, une Hidalgo ? Elle vient de lancer, sous la houlette de Jean-Louis Missika, l’associatio­n Paris en commun, tête de pont de sa campagne à venir, ouverte à tous, loin des querelles de parti. Un doute demeure : celle que l’on surnomme « la dame de fer » a-t-elle fait vraiment fait peau neuve?

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Le « club des 5 » : Christophe Girard, Emmanuel Grégoire, Frédéric Lenica, Aurélie Robineau-Israël et Jean-Louis Missika forment sa nouvelle garde rapprochée.

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