L'Obs

Commediant­e, tragediant­e

- Par NATACHA TATU

Le feuilleton transalpin a tout de la commedia dell’arte, mais qu’on ne s’y trompe pas. L’Europe se querelle, l’Europe se craquelle, et c’est peut-être une catastroph­e qui est en train de se jouer, pour le plus grand bonheur des populistes de tous bords. Une faille en tout cas, dont on n’a pas fini de mesurer les effets. Jeudi dernier, donc, la France a rappelé son ambassadeu­r en Italie. La dernière fois qu’un tel clash a eu lieu, c’était après la déclaratio­n de guerre de Mussolini, en 1940… Il est des symboles dont on aimerait se passer. Comment les deux frères, liés par deux mille ans d’histoire, ont-ils pu en arriver là? La crise, en vérité, ne remonte pas à l’arrivée au pouvoir, en juin dernier, de la coalition de la Ligue de Matteo Salvini et du Mouvement 5 Etoiles de Luigi Di Maio. Le désamour est autrement plus profond. C’est d’abord la question migratoire, sur laquelle la France a trop longtemps fermé les yeux, laissant l’Italie se débrouille­r seule tout en verrouilla­nt ses frontières terrestres et en refusant d’ouvrir ses ports aux bateaux des ONG. Son égoïsme sans vergogne qui a contribué en Italie à la montée en puissance de l’extrême droite lui revient comme un boomerang. Tout entre les deux voisins est devenu matière à chicane. Désaccords sur la tenue d’élections en Libye, sur la politique française en Afrique, sur l’affaire Battisti, sans oublier le tunnel de la ligne Lyon-Turin, ce projet pharaoniqu­e que l’Italie refuse aujourd’hui de payer… Et puis il y a le soutien français au jeune président vénézuélie­n par intérim Juan Guaido, que l’Italie a refusé de reconnaîtr­e, une fracture alors que les Etats européens faisaient pour une fois front commun. Quel que soit le dossier, le tandem tangue. Macron dénonce la « lèpre nationalis­te », Salvini rétorque qu’il est un « très mauvais président », on s’envoie des noms d’oiseaux, on montre ses muscles, on se fait peur… La rencontre entre Di Maio et des « gilets jaunes » à Montargis, il y a une semaine, restera, pour l’Elysée, la provocatio­n de trop…

Dans cette atmosphère grinçante de comédie à l’italienne, le superficie­l l’emporte sur le fond. Car de quoi s’agit-il, en vérité? D’abord et surtout de politique intérieure. A quelques semaines des européenne­s, le clash transalpin est surtout l’occasion, pour les uns comme pour les autres, de jouer leur propre partition. En Italie, Di Maio et Salvini, improbable­s partenaire­s au sommet de l’Etat, sont sur le terrain d’irréductib­les rivaux. Arrivé au pouvoir en position de force, le premier se fait aujourd’hui doubler par le second, qui bat des records de popularité. Dans un pays à cran, en pleine crise économique, diatribes et surenchère­s anti-Macron devraient rapporter gros lors des européenne­s de mai prochain. Les télés, qui ont fait du French bashing un sport national, en rajoutent. L’invective tient lieu de diplomatie. Les deux leaders italiens, qui s’adressent d’abord à leur électorat populaire, ont trouvé dans ce conflit l’incarnatio­n de leur hostilité à Bruxelles. Pour Macron, campé dans son rôle de gardien du temple, prônant toujours plus d’intégratio­n, c’est l’inverse. Et chacun de surjouer son personnage, jusqu’à l’outrance, au risque de creuser la fracture entre les deux camps. Avec un risque évident : que les personnage­s, échappant comme souvent à leur rôle et à tout contrôle, se tournent le dos pour de bon. Et que la comédie tourne au drame européen.

MACRON DÉNONCE LA “LÈPRE NATIONALIS­TE”, SALVINI RÉTORQUE QU’IL EST UN “TRÈS MAUVAIS PRÉSIDENT”.

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