L'Obs

VENEZUELA, DU PÉTROLE À LA FAIM

- Par DANIEL COHEN Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure D. C.

On peut avoir applaudi en leur temps les efforts d’Hugo Chávez pour redistribu­er la rente pétrolière aux plus démunis et être abasourdi par l’incroyable crise économique et humanitair­e qui frappe le Venezuela aujourd’hui. Le pays subit un choc deux à trois fois plus fort que celui que les Etats-Unis ou l’Allemagne ont connu dans les années 1930. Le PIB par habitant a chuté de plus de 50% en cinq ans. Le pouvoir d’achat du salaire minimum a perdu 80% de sa valeur. Faute d’une alimentati­on suffisante, la population a perdu 11 kilos par personne en moyenne au cours de la seule année 2017. L’inflation atteint des niveaux stratosphé­riques. Elle pourrait dépasser 10 millions pour cent en 2019, selon les estimation­s du FMI, soit un niveau comparable à celui de l’hyperinfla­tion allemande en 1923. Tout manque : la nourriture, les médicament­s, les pneus… Plus de 3 millions de Vénézuélie­ns ont quitté le pays, soit presque 10% de la population. On se demande comment une telle crise est possible, dans un pays disposant des plus grandes réserves pétrolière­s du monde, longtemps parmi les plus riches du continent.

La séquence commence bien avant l’élection de Chávez en 1998. Le pays a été victime de ce que les économiste­s appellent la malédictio­n des matières premières. Partout, ou presque, où les pays disposent de richesse extractive, il se crée une économie de la rente et de la corruption, où la proximité au pouvoir décide de la fortune plutôt que le travail et les investisse­ments. La Norvège et le Botswana sont les rares contreexem­ples de nations ayant échappé à cette malédictio­n qui ruine, tel Midas, ceux qui se croient enrichis. L’élection de Chávez avait été porteuse d’une grande promesse : redistribu­er les richesses. Son programme incluait notamment la fourniture d’une habitation digne aux plus défavorisé­s, le plus souvent cantonnés dans des barrios insalubres. Las, la crise internatio­nale a changé la donne. Le prix du baril s’est effondré en 2014 et 2015, étouffant les finances publiques. La production pétrolière a elle-même été en chute libre, passant de 3 millions de barils par jour en 2010 à moins d’un million aujourd’hui, du fait des dysfonctio­nnements de la compagnie pétrolière PDVSA, dont les technicien­s ont été licenciés par Chávez après s’être mis en grève en 2003. Le gouverneme­nt a fini par entrer dans la phase critique qui a touché nombre de ses prédécesse­urs sur le continent : le déni de réalité. L’économiste Rudiger Dornbusch, grand spécialist­e de l’Amérique latine, avait analysé ce trait récurrent de ce qu’il est convenu d’appeler le populisme latino-américain. La séquence y est toujours la même. Des politiques de relance trop fortes creusent inexorable­ment le déficit de la balance des paiements, provoquant un effondreme­nt du change, une inflation galopante et une chute brutale de la production. A la fin de la séquence, les classes populaires sont plus pauvres qu’au départ, alors que c’est en leur nom, à l’origine, que ces mesures avaient été menées.

Pour survivre à son échec, le gouverneme­nt vénézuélie­n s’est irrésistib­lement appuyé sur les Chinois, qui achètent désormais l’essentiel de sonpétrole, ou sur les Russes, qui lui fournissen­t des armes et des technologi­es. Ces deux pays entendent défendre chèrement leurs investisse­ments, bien davantage que le droit internatio­nal. Personne ne peut croire non plus que Trump ait été saisi par la grâce en voulant défendre les droits de l’homme au Venezuela : c’est bien le match à distance avec les deux autres qu’il prolonge dans ce pays, réactivant la doctrine Monroe qui considérai­t l’Amérique latine comme la chasse gardée des Etats-Unis… Quelles que soient les intentions des uns et des autres, tout doit pourtant être mis en oeuvre pour mettre fin à la crise que connaît ce malheureux pays, à commencer par un couloir humanitair­e d’urgence. Sans être dupe du fait que ce qui justifie l’intérêt que les grandes puissances lui portent est aussi sa croix : le pétrole.

LE PAYS SUBIT UN CHOC DEUX À TROIS FOIS PLUS FORT QUE LES ÉTATS-UNIS OU L’ALLEMAGNE DANS LES ANNÉES 1930

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