L'Obs

par Sophie Fontanel

Il existe un remède aux heures perdues sur notre smartphone. La bonne vieille montre qu’on avait oubliée nous indique la voie d’un temps enfin apprivoisé

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Je voudrais vous montrer comment les modes naissent. Mon exemple semblera loin des chi ons, mais vous verrez qu’il concerne bel et bien une grande tendance, presque vestimenta­ire. En juin dernier, Apple intègre une fonctionna­lité inédite: « le temps d’écran ». A ceux qui l’activent, elle dit le temps passé sur l’écran, dans un relevé hebdomadai­re qui fait froid dans le dos. En quelques jours, votre serviteuse, comme des millions de gens dans le monde, a mesuré à quel point le téléphone mangeait sa vie, et s’est dit : « Ce n’est pas possible ! » Mais reprenons les choses dans l’ordre. 4h20 quotidienn­es sur l’écran de mon mobile: voilà le triste score de votre serviteuse, il y a quelques mois encore. A peine ce terrible chi re mis là, devant mes yeux, si e arée, je ne parlais plus que de cela. Quelques discussion­s m’ont confirmé que je n’étais pas la seule dans ce cas. Faible consolatio­n… J’ai immédiatem­ent désactivé la fonctionna­lité maudite. Hélas, cela n’a rien changé à ma nouvelle lucidité, le ver était dans le fruit. Allais-je passer ma vie en perdant tant de temps ? J’ai pris le taureau par les cornes.

Bien sûr, l’écran nous relie au monde, je ne dirai pas le contraire. Il est même inespéré d’avoir un tel relais. Mais… 4h20 ! Sur ces 4h20, combien sont machinales, combien sont évitables ? Je cherchais et c’est là que j’ai pensé à l’heure. Dans ma jeunesse, si l’on voulait la savoir, l’heure, il fallait une montre. On n’aimait pas trop ça. Quand on était rebelle, on se contentait des horodateur­s, qu’on trouve à tous les coins de rue. Etre libre, est-ce que c’était aller se mettre au poignet, comme des pigeons bagués, des bracelets-montres qui faisaient penser à la tristesse bourgeoise ? Une montre vous enchaînait au temps, sans doute pour ça qu’au début, jadis, elles pendaient au bout de chaînettes.

Voyez comme tout change, et comme la mode est un éternel recommence­ment : la montre, aujourd’hui, est l’objet qui vous délivre du téléphone. Elle y gagne tant d’attraits et revient au bras de bien des gens que je connais. Tous extirpent, un beau jour, une montre reléguée dans le fond d’un tiroir. Ou bien en « rachètent » une. La marque Hermès, de façon visionnair­e, a créé il y a quelques années la « slow watch » avec son modèle « Le Temps suspendu »: une touche discrète, une fois actionnée, permet d’arrêter le temps. On le reprend plus tard. Idée irrésistib­le.

La montre que je porte à nouveau me sauve la peau. Si je veux savoir l’heure, je la vois à mon bras, de façon intime, et cette heure n’est qu’à moi. Hier, encore, je la regardais sur mon téléphone, avant de partir, par la même occasion, flâner sur les réseaux sociaux, visionner des vidéos de chat, épouiller mes mails… J’ai aussi acheté un réveil. Il est ma montre du sommeil. Avant lui, si je me réveillais la nuit, j’attrapais bien sûr mon téléphone pour voir l’heure qu’il était. Croyez-vous qu’après je le reposais ? Non ! J’y restais au moins une heure à tweeter : « Qui dort ? » et à liker les réponses. Maintenant, le téléphone est dans une autre pièce. Le matin, mon premier geste n’est pas d’aller vérifier la merde du monde. Je prends le temps d’ouvrir mon âme, au lieu d’en perdre à des broutilles.

On ne se refait pas, j’ai maintenant envie d’une montre en or, avec le bracelet, un bijou. C’est fou comme les besoins naissent vite, et c’est fou comme nous les adorons. Nous vivons, pardi !

PRÉCISION L’agence du comédien Swann Arlaud nous demande de préciser que ce dernier ne fait pas la promotion ou le parrainage des produits commerciau­x présentés dans la page Spécial cadeaux de « l’Obs » daté du 06/12/2018 sur laquelle il apparaissa­it.

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LONGTEMPS, LES MONTRES ÉVOQUAIENT LA TRISTESSE BOURGEOISE. ET SI ELLES REDONNAIEN­T DU SENS AU TEMPS ?

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