L'Obs

L’humeur de Jérôme Garcin

- Par JÉRÔME GARCIN J. G.

A u cinéma, ces temps-ci, l’édition française a un visage avenant. Grâce au séducteur Guillaume Canet, 45 ans, qui incarne une sorte de Gallimard 2.0 dans « Doubles Vies », d’Olivier Assayas, et à la mutine Alice Isaaz, 27 ans, promue conseillèr­e littéraire de la maison Grasset dans « le Mystère Henri Pick », de Rémi Bezançon (sortie le 6 mars), ce vieux métier prend un coup de jeune et la profession grisonnant­e, des couleurs. On ne trouvera pas le même charme à Gaétan Malinois. Un peu moins âgé que Guillaume Canet et un peu plus qu’Alice Isaaz, Gaétan Malinois, diplômé d’une école de gestion, a été nommé directeur littéraire des Editions Bonnemaiso­n, fondées en 1946 sur un socle chrétien et un programme de vertus désormais révolues. Qu’importe s’il sait à peine lire, « confond Guide Michelin et Guy de Maupassant », parle le franglais du CAC 40, ne jure que par le « feel-good roman », c’est lui qui, à Saint-Germaindes-Prés, décide de la vie ou de la mort d’un manuscrit. Malinois, qui a pris ses fonctions au moment où l’édition « tombait aux mains d’un clan de prédateurs, d’incompéten­ts et de cyniques assermenté­s », est la bête noire de Patrice Delbourg. Dans « Fils de chamaille » (Castor astral, 18 euros), il confronte le jeune éditeur à un écrivain chenu de 80 ans, Aimé Ratichaud, qui a publié toute son oeuvre chez Bonnemaiso­n et s’en voit aujourd’hui éconduit. Le technocrat­e lui reproche d’écrire des livres « bourratifs, suffocants », sans lecteurs ni lauriers, d’avoir fait son temps, de s’obstiner, bref, de l’importuner. Dans un premier temps, Ratichaud regimbe. Il accable Malinois de toute sa rancoeur et l’édition, ses financiers, ses comités de lecture fantoches, ses têtes de gondole, de sarcasmes d’une violence quasi célinienne. Et puis, le boutefeu finit par abdiquer. Son pamphlet tourne à l’âcre confession. L’auteur, prédisposé au pilon, de livres « mort-nés » reconnaît être incapable de se vendre et avoir toujours persévéré dans le fiasco. Le « pacha en débine » impute à ses origines modestes et légumières sa mauvaise humeur chronique, sa détestatio­n des gens, son hypocondri­e râleuse. Il avoue préférer la compagnie de Léautaud, Calet, Gadenne à la fréquentat­ion des puissants, et la surabondan­ce de mots à leur pénurie. A 69 ans, avec une cinquantai­ne d’ouvrages luxuriants à son actif, le romancier, poète, essayiste Patrice Delbourg n’a jamais été plus indigné et inconsolab­le que dans ce livre en forme d’adieu. Bon prince, il réussit même à en rire.

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