A Cherbourg, l’atome de la discorde
“L’Obs” part sur les routes pour raconter les réunions citoyennes lancées par le gouvernement. Première étape : Cherbourg, où le nucléaire s’est invité dans la discussion
Le président de la République avait pourtant pris soin de poser une trentaine de questions prioritaires dans sa lettre aux Français. Qu’à cela ne tienne, à Cherbourg, les participants à la première session locale du grand débat national ont préféré commencer par le nucléaire. Un bon thème pour une fin de repas en famille mais, dans le Cotentin où prospèrent une usine de retraitement (La Hague) et une centrale (Flamanville), la discussion a viré au débat d’experts. Daniel, l’animateur de la soirée, a tenu à délivrer ex abrupto un « message personnel » : « Le nucléaire est aujourd’hui la seule énergie qui tient la route. » L’éolien ? Le solaire ? « Quand vous avez un pic de consommation à 19 heures en plein hiver, je ne crois pas que ce soit la solution. » Et de flinguer la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui prévoit de soutenir le secteur des énergies renouvelables à hauteur de 7 ou 8 milliards d’euros par an. « Vous n’êtes pas satisfait de la PPE ?, lui rétorque Patrick, sexagénaire. Mais vous devriez l’être ! Elle va clairement dans le sens du nucléaire ! » Une autre voix s’élève : « Il est regrettable que la France soit le pays du G7 qui consacre le moins d’argent aux énergies renouvelables! » Pull orange, la quarantaine dégarnie, Erwan, directeur de l’usine LM Wind Power, fabricant de pales pour éoliennes, se lève pour défendre sa filière. « Notre métier avance à grands pas ; 61% du temps, nos éoliennes produisent au maximum de leur capacité. » Le débat est lancé. On apprendra plus tard que Daniel, l’animateur pronucléaire, est un cadre d’Orano (ex-Areva)…
Ce soir-là, à Cherbourg, dans le grand salon de l’hôtel de ville, une centaine de citoyens ont pris part à la séance de catharsis nationale. Pour représenter la majorité présidentielle, la députée de la Manche Sonia Krimi s’est assise au premier rang. Un carnet posé sur ses genoux, l’organisatrice de la soirée noircit son calepin, écoute, et ne prend la parole que lorsqu’elle est interpellée. Ou concernée : passée par Areva où elle était « cost-killeuse », elle se défend de tout parti pris. « Y avoir travaillé ne veut pas dire que je suis complice du tout-nucléaire, évacue-t-elle. Je suis favorable à ce qu’on prépare la sortie. Mais dans vingt, trente, quarante ou cinquante ans. Pas en 2025 ! »
Dans la péninsule, le nucléaire est un sujet aussi brûlant que quotidien. « Ici, les discussions sur l’énergie peuvent durer des soirées entières. Je m’étonne même que l’intégralité du débat n’ait pas porté là-dessus », notera la députée à l’issue de la rencontre. Mais ce n’était pas le seul motif d’inquiétude. « L’hôpital, où 190 postes sont menacés, est l’autre sujet sensible », glisse un élu cherbourgeois. Certains thèmes chers aux « gilets jaunes » ont aussi fait surface : exemplarité des élus, train de vie de l’Etat, déserts médicaux, rôle de la télévision publique, financement des associations, droit de vote à 16 ans… Mais il n’a guère été question du référendum d’initiative citoyenne (le RIC, évoqué une seule fois) et encore moins de l’ISF.
Rien d’étonnant à cela. Vérification faite, il n’y avait pas un seul représentant connu des « gilets jaunes » cherbourgeois dans la salle. Ici, on a pu mesurer la difficulté d’ouvrir un débat fédérant toutes les strates de la population. Peut-être aurait-il fallu organiser la réunion sur un rond-point…
RECTIFICATIF
Suite à une erreur technique, l’article « La Ligne jaune », publié dans « l’Obs » n° 2831, n’était pas signé. Il était de notre journaliste Rémy Dodet.