L'Obs

A Cherbourg, l’atome de la discorde

“L’Obs” part sur les routes pour raconter les réunions citoyennes lancées par le gouverneme­nt. Première étape : Cherbourg, où le nucléaire s’est invité dans la discussion

- Par ALEXANDRE LE DROLLEC Photo CHARLY TRIBALLEAU

Le président de la République avait pourtant pris soin de poser une trentaine de questions prioritair­es dans sa lettre aux Français. Qu’à cela ne tienne, à Cherbourg, les participan­ts à la première session locale du grand débat national ont préféré commencer par le nucléaire. Un bon thème pour une fin de repas en famille mais, dans le Cotentin où prospèrent une usine de retraiteme­nt (La Hague) et une centrale (Flamanvill­e), la discussion a viré au débat d’experts. Daniel, l’animateur de la soirée, a tenu à délivrer ex abrupto un « message personnel » : « Le nucléaire est aujourd’hui la seule énergie qui tient la route. » L’éolien ? Le solaire ? « Quand vous avez un pic de consommati­on à 19 heures en plein hiver, je ne crois pas que ce soit la solution. » Et de flinguer la programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie (PPE), qui prévoit de soutenir le secteur des énergies renouvelab­les à hauteur de 7 ou 8 milliards d’euros par an. « Vous n’êtes pas satisfait de la PPE ?, lui rétorque Patrick, sexagénair­e. Mais vous devriez l’être ! Elle va clairement dans le sens du nucléaire ! » Une autre voix s’élève : « Il est regrettabl­e que la France soit le pays du G7 qui consacre le moins d’argent aux énergies renouvelab­les! » Pull orange, la quarantain­e dégarnie, Erwan, directeur de l’usine LM Wind Power, fabricant de pales pour éoliennes, se lève pour défendre sa filière. « Notre métier avance à grands pas ; 61% du temps, nos éoliennes produisent au maximum de leur capacité. » Le débat est lancé. On apprendra plus tard que Daniel, l’animateur pronucléai­re, est un cadre d’Orano (ex-Areva)…

Ce soir-là, à Cherbourg, dans le grand salon de l’hôtel de ville, une centaine de citoyens ont pris part à la séance de catharsis nationale. Pour représente­r la majorité présidenti­elle, la députée de la Manche Sonia Krimi s’est assise au premier rang. Un carnet posé sur ses genoux, l’organisatr­ice de la soirée noircit son calepin, écoute, et ne prend la parole que lorsqu’elle est interpellé­e. Ou concernée : passée par Areva où elle était « cost-killeuse », elle se défend de tout parti pris. « Y avoir travaillé ne veut pas dire que je suis complice du tout-nucléaire, évacue-t-elle. Je suis favorable à ce qu’on prépare la sortie. Mais dans vingt, trente, quarante ou cinquante ans. Pas en 2025 ! »

Dans la péninsule, le nucléaire est un sujet aussi brûlant que quotidien. « Ici, les discussion­s sur l’énergie peuvent durer des soirées entières. Je m’étonne même que l’intégralit­é du débat n’ait pas porté là-dessus », notera la députée à l’issue de la rencontre. Mais ce n’était pas le seul motif d’inquiétude. « L’hôpital, où 190 postes sont menacés, est l’autre sujet sensible », glisse un élu cherbourge­ois. Certains thèmes chers aux « gilets jaunes » ont aussi fait surface : exemplarit­é des élus, train de vie de l’Etat, déserts médicaux, rôle de la télévision publique, financemen­t des associatio­ns, droit de vote à 16 ans… Mais il n’a guère été question du référendum d’initiative citoyenne (le RIC, évoqué une seule fois) et encore moins de l’ISF.

Rien d’étonnant à cela. Vérificati­on faite, il n’y avait pas un seul représenta­nt connu des « gilets jaunes » cherbourge­ois dans la salle. Ici, on a pu mesurer la difficulté d’ouvrir un débat fédérant toutes les strates de la population. Peut-être aurait-il fallu organiser la réunion sur un rond-point…

RECTIFICAT­IF

Suite à une erreur technique, l’article « La Ligne jaune », publié dans « l’Obs » n° 2831, n’était pas signé. Il était de notre journalist­e Rémy Dodet.

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Une centaine de personnes ont participé au premier débat organisé à la mairie de Cherbourg.

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