« Il faut diversifier les profils des médecins ». Entretien avec la ministre Frédérique Vidal
La ministre de l’Enseignement supérieur détaille la réforme du recrutement et de la formation des futurs professionnels de santé
Vous aviez annoncé en septembre une réforme en profondeur de la formation des médecins. Six mois plus tard, vous lancez une grande concertation sur le sujet, région par région. Peut-on savoir ce qui est déjà acté?
Notre ligne directrice est claire : il faut diversifier les profils des futurs professionnels de santé, et notamment des médecins, en agissant à la fois sur les modes d’accès aux études et sur les modalités de sélection. Aujourd’hui, les examens de fin de première année ne mobilisent qu’une seule forme d’intelligence : la capacité à mémoriser et à restituer des connaissances. Ce n’est satisfaisant ni pour les étudiants, qui souffrent de cette situation, ni pour les filières médicales, qui n’ont aucune garantie de trouver des profils correspondant à leurs attentes. Nous avons besoin d’autres modes de raisonnement. A partir de 2020, nous irons donc recruter les étudiants sur leur excellence académique, quelle que soit leur filière universitaire – sciences dures ou sciences humaines –, mais également sur leurs compétences sociales. Pour être admis définitivement, il faudra être brillant dans son domaine, avoir validé au moins une mineure consacrée à la santé et enfin, j’insiste, passer un oral.
Allez-vous vraiment supprimer la Paces, cette ultrasélective première année de préparation aux concours médicaux?
Oui, la Paces sera remplacée par un portail pluridisciplinaire spécifique « sciences de la santé », qui sera non plus la voie unique, mais une parmi plusieurs pour rejoindre les études médicales et certaines filières paramédicales. Les étudiants suivront un cursus beaucoup plus ouvert qu’aujourd’hui, avec une mineure autre que les sciences de la santé. Cela leur permettra de continuer en deuxième année de premier cycle même s’ils ne sont pas retenus en médecine, dentaire ou dans tout cursus à effectif limité. Cette évolution s’inscrit dans la refonte des licences universitaires. On étudiera non plus uniquement la physique ou l’histoire mais des combinaisons pluridisciplinaires de majeures et de mineures. Je précise d’ailleurs que les étudiants, même ceux qui n’ont pu accéder à l’entrée des filières sélectives, auront tous une deuxième chance. Différence notable avec la Paces actuelle : au lieu de redoubler et de revenir à bac+0 en cas de nouvel échec, ils pourront continuer leurs études sans perdre de temps, dans des domaines ayant trait à la santé, et se représenter un ou deux ans plus tard.
Emmanuel Macron avait annoncé la fin du numerus clausus. Si l’on vous suit, une bonne partie des admissions se fera sur concours en fin de première année. Et la sélection restera rude…
Mettre fin au numerus clausus ne veut pas dire abandonner toute forme de régulation. Les universités seront libres de faire varier leur capacité d’accueil en fonction des besoins sanitaires, mais elles devront respecter une fourchette fixée avec les agences régionales de santé (ARS). Il y aura donc effectivement une
“L’IDÉE EST D’OUVRIR LES ÉTUDES DE SANTÉ À DES ÉTUDIANTS NON SCIENTIFIQUES.”
forme de sélection à la fin de la première année. A ceci près que les épreuves ne s’appuieront pas uniquement sur des batteries de QCM. Les compétences humaines, la capacité d’empathie seront largement prises en compte, notamment par le biais de l’oral.
Les doyens des facs de médecine sont sceptiques quant à la possibilité d’évaluer des milliers de candidats sur des critères aussi subjectifs…
Les épreuves orales ne seront proposées qu’aux candidats déclarés admissibles soit via les épreuves de fin de première année du portail santé, soit via la nouvelle voie d’accès proposée aux étudiants ayant suivi un autre parcours universitaire. En définitive, elles ne concerneront qu’une petite partie du nombre global d’étudiants.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette voie bis, que vous venez d’évoquer? Sera-t-il vraiment possible d’intégrer un cursus de médecine après des études de philosophie?
Potentiellement, oui. Des mineures santé – le nom n’est pas définitif – seront proposées dans la plupart des universités de France, même celles qui ne sont pas adossées à un centre hospitalier universitaire (CHU). Elles donneront accès à une proportion importante des places en deuxième année d’études médicales et paramédicales. La proportion précise sera fixée au niveau régional par la concertation, mais, en tout état de cause, ne représentera pas moins de 20% des effectifs. L’idée est bien d’ouvrir les études de santé à des profils non scientifiques au bout de deux ou trois ans d’études, pourvu qu’ils aient validé ces quelques unités d’enseignement santé spécifiques, dont le contenu et les modalités d’évaluation seront définis au niveau national.
Envoyer des spécialistes de Kant en médecine, n’est-ce pas déraisonnable?
Je ne crois pas. Les professions de santé demandent certes un haut niveau de technicité. Mais nous avons la conviction, avec la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qu’il faut ajouter dans la formation davantage de questionnement éthique, de connaissances anthropologiques, psychologiques, sociologiques… A côté des super-techniciens que nous formons aujourd’hui, nous avons besoin de spécialistes du grand âge, de la prévention, de professionnels capables de s’appuyer sur l’expertise de leurs patients. Notre population va connaître un fort vieillissement dans les années à venir, l’intelligence artificielle va s’imposer. Des pans entiers de la médecine et des professions de santé doivent se réinventer.
Vous souhaitez également recruter des jeunes prêts à s’impliquer dans des zones de désertification médicale. Mais comment s’assurer de cela?
La Paces n’est aujourd’hui proposée que dans les grandes universités régionales. Or on sait que l’éloignement géographique pèse sur les choix d’orientation. La mise en place de mineures santé dans la plupart des facs doit réduire les réflexes d’autocensure chez les lycéens d’origine rurale ou populaire. Par ailleurs, nous allons faire en sorte que les temps de formation se concentrent moins dans les CHU. Dans le cadre de cette formation plus éthique, plus humaine, les jeunes médecins seront davantage sur le terrain, dans les centres de santé, dans des regroupements de praticiens libéraux. Nous pensons que cela suscitera des vocations. Les professions de santé ont une forte dimension vocationnelle. Cela sera encore plus le cas demain.