L'Obs

« Obama a envisagé de renverser Assad ». Entretien avec Ben Rhodes, ex-conseiller du président

Dans un livre* qui vient de paraître, Ben Rhodes, ancien conseiller de Barack Obama, raconte ses dix années aux côtés du président américain et revient sur la crise syrienne

- Propos recueillis par VINCENT JAUVERT

Votre livre relate, en détail, le 30 août 2013, ce jour historique où Barack Obama a décidé, à la surprise générale, de ne pas frapper le régime syrien qui venait de gazer des civils, alors que, quelques mois auparavant, il avait clairement menacé Bachar al-Assad de représaill­es s’il franchissa­it cette ligne rouge. Pourquoi cette volte-face qui a, dit-on, marqué le début du retrait américain des affaires internatio­nales?

Cela s’est passé en plusieurs temps. A mon avis, Barack Obama voulait frapper très vite, quelques jours après l’attaque chimique. Mais il y avait des inspecteur­s de l’ONU sur place qui prenaient des échantillo­ns sur le terrain afin d’établir les responsabi­lités. Le président a demandé au secrétaire général des Nations unies de les rappeler immédiatem­ent. Ban Ki-moon a refusé. Cela a cassé l’élan. D’autant qu’Angela Merkel n’a pas voulu nous soutenir politiquem­ent, elle voulait un vote au Conseil de Sécurité. Et puis le Premier ministre britanniqu­e, David Cameron, n’a pas eu le feu vert de son Parlement pour frapper aux côtés des Américains et des Français. Dans le même temps, les républicai­ns ont averti Obama que, selon eux, une interventi­on militaire sans l’accord du Congrès serait inconstitu­tionnelle. Par conséquent, le président se retrouvait seul avec François Hollande, le dernier à le soutenir dans cette affaire. Il se sentait mal vis-à-vis de lui, il me l’a dit plusieurs fois. Mais il n’avait pas de mandat de l’ONU, pas de coalition et pas de soutien de la population américaine, qui ne voulait pas d’une autre guerre au Moyen-Orient.

Il aurait pu passer outre tous ces obstacles, s’il jugeait que sa crédibilit­é et celle de l’Amérique étaient en jeu.

Son souci était qu’il ne pensait pas qu’une seule frappe suffirait, et que, de ce fait, les Etats-Unis risquaient d’être de nouveau entraînés dans un bourbier sans fin. J’ai essayé plusieurs fois de le convaincre d’intervenir militairem­ent en Syrie. Un jour, on s’est même engueulés. « Au moins bombardons les pistes d’aviation », lui ai-je lancé. Il m’a rétorqué : « Et que ferai-je si les Russes les reconstrui­sent? » Il ne voyait pas comment cela pourrait mettre fin à cette guerre civile. Les leçons de l’Afghanista­n, de l’Irak et de la Libye montraient que même si on renversait Bachar al-Assad par la force, cela ne réglerait rien. Il l’a envisagé, mais, au fond, il n’y croyait pas. Un jour, je lui ai demandé de rencontrer des reporters de guerre qui avaient passé plusieurs mois en Syrie. Mon idée était que les récits des horreurs du régime le feraient changer d’avis. Mais les journalist­es lui avaient aussi parlé de la complexité de la situation, des affronteme­nts ethniques… Barack Obama en a conclu que le plus sage était de ne rien faire.

Cette décision marque-t-elle, selon vous, le début d’une sorte d’isolationn­isme américain que Trump a poursuivi?

Ne confondons pas : Obama et Trump ont fait le même diagnostic sur le fait que les Etats-Unis ne peuvent plus tout faire dans le monde, que les alliés notamment doivent prendre plus leur part du fardeau, mais leurs solutions sont à l’opposé les unes des autres. Pour Obama, elles sont multilatér­ales, comme l’accord de Paris sur le climat ou celui sur le nucléaire iranien, quand la réponse de Trump est l’affronteme­nt.

A votre avis, Trump aurait-il pu gagner l’élection de 2016 sans l’interventi­on russe dans la campagne électorale?

De la Maison-Blanche, nous avons vu cette guerre de l’info menée par la Russie sur internet, le vol des e-mails du Parti démocrate, les fake news… J’en ai parlé à Obama, qui m’a dit : « Oui, mais qu’est-ce que nous, le gouverneme­nt, pouvons faire ? Les gens qui croient ces “fake news” ne vont pas m’écouter si je leur dis que c’est une campagne du Kremlin contre Hillary Clinton. » Et, de fait, elle a marché. Comme vous le savez, la victoire de Trump s’est jouée à 100000 voix près dans les trois Etats. Donc il n’est pas du tout impossible que les manoeuvres russes aient fait gagner Donald Trump.

(*) « Obama confidenti­el. Dix ans dans l’ombre du président », Editions Saint-Simon, 390 pages, 22,90 euros. Retrouvez l’intégralit­é de l’entretien sur Nouvelobs.com.

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Le 21 septembre 2011 à New York, le président Obama discute avec son conseiller Ben Rhodes du discours qu’il s’apprête à prononcer devant l’assemblée générale de l’ONU.

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