L'Obs

“On ne joue pas avec une infrastruc­ture aussi stratégiqu­e”

Sophie Primas est sénatrice LR des Yvelines. Elle préside la commission des Affaires économique­s.

- Propos recueillis par R. N.

Vous avez voté contre le projet de cession d’Aéroports de Paris porté par le gouverneme­nt. Pourquoi ?

Je ne suis pas par principe opposée aux privatisat­ions. Elles peuvent parfois se justifier. Mais dans le cas d’ADP, il y a une foule de questions auxquelles le gouverneme­nt n’a pas apporté de réponses. Au moment où s’aiguise l’agressivit­é commercial­e et politique de la Chine et des Etats-Unis, on ne peut pas se permettre de jouer avec des infrastruc­tures aussi stratégiqu­es que les aéroports de Paris. Dans le schéma proposé par le gouverneme­nt, rien n’empêche des fonds étrangers d’en prendre le contrôle.

La majorité assure qu’elle peut bloquer des acquéreurs indésirabl­es...

Si, comme c’est envisagé, la privatisat­ion se fait par l’offre publique d’achat (OPA), c’est le plus offrant qui l’emporte, quelle que soit sa nationalit­é. Et même si c’est un groupe français qui gagne cette OPA, qui nous dit qu’il ne va pas finir par être racheté par des fonds étrangers ?

Pourquoi est-ce un actif si stratégiqu­e ? Après tout, les frontières restent gérées par l’Etat français...

ADP s’occupe certes d’une importante partie commercial­e, les fameuses boutiques dont parle sans cesse le gouverneme­nt. Mais il y a aussi un pôle « infrastruc­ture » : tout ce qui touche au parcours passager et fret. Ces flux représente­nt une masse gigantesqu­e d’informatio­ns qui peuvent servir, par exemple, à affiner la concurrenc­e contre Air France. Le gouverneme­nt essaie de nous rassurer en expliquant que l’ensemble des actifs et du foncier reviendra à l’Etat dans soixante-dix ans. Mais c’est une éternité ! Qui peut dire comment auront évolué le secteur et la situation géopolitiq­ue d’ici là ? Comparez le monde d’aujourd’hui avec celui de 1949…

Les fonds récupérés doivent être placés et générer une man ne pour la recherche.

Bien sûr qu’il faut financer l’innovation. Mais le schéma du ministre n’est pas très convaincan­t. L’Etat a touché 173 millions d’euros de dividendes grâce à ADP pour l’année 2017. Ce n’est pas très loin de ce qu’espère récupérer le gouverneme­nt chaque année en plaçant les fruits d’une privatisat­ion dans des obligation­s ! Certes, le montant des dividendes d’ADP fluctue, mais tout indique qu’il va augmenter.

Pour vous, le gouverneme­nt n’a pas tiré les leçons des privatisat­ions ratées ?

Le gouverneme­nt est comme Kaa dans « le Livre de la jungle » : « Aie confiance. » Il répète que tout est encadré, qu’on ne réitérera pas les erreurs de la privatisat­ion des autoroutes : il y aura une obligation d’investisse­ments, la redevance aéroportua­ire sera encadrée, etc. A l’écouter égrener ces supposés garde-fous, on finit par se demander ce qui pourrait bien pousser une entreprise à investir dans le groupe ADP…

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