ET KANT ALLUMA LES LUMIÈRES
Nous sommes en 1781, à Königsberg, sur la Baltique. Emmanuel Kant, professeur de géographie, a 51 ans et commence son oeuvre théorique. Jusqu’alors, il a cru ce que disaient Leibniz et ses épigones : la marche du monde s’explique par des lois que la raison est en mesure de découvrir. Mais soudain, il se réveille d’un long « sommeil dogmatique » et ce rationalisme triomphant lui apparaît un peu creux. Il va y opposer sa fameuse « Critique de la raison pure ». Non, la raison n’est pas toute-puissante. Elle est paramétrée par la nature humaine et nous comprenons le monde en fonction des catégories de notre physiologie et de notre culture. Il y a ce que nous voyons (le phénomène) et ce qui existe au-delà et qui ne nous est pas accessible (le noumène). Attention : Kant n’est ni un obscurantiste ni un relativiste. Homme des Lumières, il croit à la liberté. Mais c’est justement parce que le monde ne se limite pas aux objets connus que nous sommes libres. Libres, et donc responsables. Si toute chose s’expliquait et fonctionnait par des causes naturelles, où serait la responsabilité ? Car la critique métaphysique de Kant est aussi un projet moral : appliquer la logique des causes naturelles à la vie humaine, c’est nier la dignité de l’homme. Pour honorer l’idée d’humanité, il faut au contraire considérer autrui « comme une fin et jamais simplement comme un moyen »… De même, en politique, faut-il se garder de tout regard paternaliste sur le peuple. Telle est la véritable signification des Lumières selon Kant : toute chose a un prix, mais seul l’homme a une dignité.
« Apprendre à philosopher », une collection de livres pour éclairer le monde contemporain publiée par « l’Obs », en kiosques cette semaine. Prochain volume : « Voltaire », le 21 février.