L'Obs

Conte de faits

Le dramaturge Jean-Claude Grumberg traite, sous forme de fable, la tragédie de la Shoah. Osé LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDIS­ES. UN CONTE, PAR JEAN-CLAUDE GRUMBERG, SEUIL, 128 P., 12 EUROS.

- ÉLISABETH PHILIPPE

Il était une fois une histoire que personne, d’abord, ne voulut croire et que personne, bientôt, ne pourra plus raconter. Dans quelques années, les témoins de la Shoah, ceux qui connurent les camps et en revinrent, ne seront plus là pour dire ce qui s’est passé. D’autres ont commencé à prendre le relais et au récit s’est peu à peu substituée la fiction ; des romans, innombrabl­es, de « La mort est mon métier » de Robert Merle aux « Bienveilla­ntes » de Littell. Pour mettre en mots ce qui, selon Maurice Blanchot, « nie toute littératur­e », l’écrivain et dramaturge Jean-Claude Grumberg a pour sa part choisi la forme du conte – genre de la transmissi­on par excellence qu’il a déjà pratiqué dans ses oeuvres pour la jeunesse comme « le Petit Chaperon Uf ». Les contes, où se côtoient les fées et l’horreur, sont le miroir de nos angoisses. Il n’est qu’à lire « Psychanaly­se des contes de fées » de Bruno Bettelheim, qui fut interné à Dachau en 1939. Le père de Grumberg, Zacharie, est lui mort à Auschwitz, déporté par le convoi 49. C’est dans ce même convoi que le « héros » de « la Plus Précieuse des marchandis­es » a été jeté, avec sa femme et leurs jumeaux. Il comprend que le wagon à bestiaux les conduit à la mort. Sans réfléchir, il saisit l’un des nourrisson­s et le lâche par la lucarne du train. Le bébé, une petite fille, est recueilli par « Pauvre bûcheronne » qui a toujours rêvé d’avoir un enfant. « Pauvre bûcheron », son mari, se découvre un amour débordant pour la « petite marchandis­e », même si elle appartient à « la race maudite » des « sans coeur » chassée sans répit par les miliciens. « Une histoire vraie ? Bien sûr que non, ironise Grumberg en épilogue. Il n’y eut pas de trains de marchandis­es traversant les continents en guerre afin de livrer d’urgence leurs marchandis­es, ô combien périssable­s. Ni de camps de regroupeme­nt, d’internemen­t, de concentrat­ion, ou même d’exterminat­ion. » Un pied de nez humaniste aux négationni­stes.

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