Bégaudeau bastonne HISTOIRE DE TA BÊTISE, PAR FRANÇOIS BÉGAUDEAU, PAUVERT, 224 P., 18 EUROS.
François Bégaudeau va devoir déménager. Il révèle dans ce livre qu’il habite à Paris, dans le 11e arrondissement, en plein coeur du Macronistan. Il y vit entouré de bourgeois de gauche. Il ne les aime pas. Mais il les châtie bien. Dans ce pamphlet ultraviolent, qui rappelle la « Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary », il s’adresse à eux, collectivement, en usant du « tu ». Ça commence avec la campagne de 2017. « Souvent pendant la campagne je t’ai trouvé bête. Je t’écoutais et je pensais : comme c’est bête. » « Tu » est le socialiste passé chez Macron, le bien-né qui déguise sa peur du peuple en peur du populisme, le faux modéré dont le goût du doute profite toujours au pouvoir, celui qui craint le fascisme mais accepte les ravages du capitalisme, puisqu’il en est épargné. Les meilleures pages du livre sont celles qu’il consacre à la culture du bourgeois de gauche : ses manières cool, ses séries américaines faites pour ne pas trop le fatiguer, son amour des romans et films intimistes où il rachète sa « sauvagerie sociale » en exhibant ses traumatismes familiaux. (« La blessure t’embellit, la fêlure t’ennoblit, tu es douloureux, tu es durassien, tu es un peu fou aussi, un peu folle, tu satures tes films et tes livres de déviants sublimes, de cabossés magnifiques […]. Un scrupule de dominant t’est venu qui te pousse à faire savoir que tu souffres. Tu n’es pas si privilégié puisque tu souffres. ») On se reconnaît souvent dans ce large « tu », et cet effet miroir provoque une drôle de joie masochiste. Beaucoup de notables culturels, de journalistes et d’artistes, nommés ou non, prennent un coup au passage – on a reconnu ou cru reconnaître, entre bien d’autres, Raphaël Enthoven, Yann Barthès, Augustin Trapenard, Aurélien Bellanger, Michel Hazanavicius, Benjamin Biolay, Françoise Hardy, Caroline Fourest, Patrick Modiano, Vanessa Paradis. Le livre a la dureté d’une ultime lettre d’insulte : au bout du compte, Bégaudeau cogne sur ses amis, ses lecteurs, son milieu, comme s’il ne les supportait plus et avait décidé de couper les ponts.