Le Vice, pas la vertu
VICE, PAR ADAM MCKAY. BIOPIC SATIRIQUE, AVEC CHRISTIAN BALE, AMY ADAMS, STEVE CARELL, SAM ROCKWELL (2H12).
C’est un scud bourré tiré au coeur de l’establishment conservateur américain. « Vice » révèle à la fois l’intense appétit de pouvoir et la totale corruption des républicains, à travers le personnage de Dick Cheney, le vice-président de George W. Bush. Cheney, rappelons-le, a été le plus secret des hommes de l’ombre, le plus toxique, le plus impitoyable, d’une droite extrême – et extrêmement décomplexée. Bref, un salaud parfait. Pour évoquer cette page sombre de l’histoire américaine, désormais occultée par le cirque Trump, Adam McKay, réalisateur de comédies pas terribles (« Frangins malgré eux », « Very Bad Cops ») et d’une étonnante saga sur la crise des subprimes (« The Big Short : le casse du siècle »), est passé en overdrive. En plus de deux heures, il reconstitue le parcours de Cheney, sur le ton de l’hilarité (style « Mad »), de la satire (« Saturday Night Live »), de la bouffonnerie (le président Bush est un idiot total), le tout fondé sur une documentation massive. Le message est clair : les néocons et les cons sont aux manettes, au secours ! Le film, lui, est inégal, avec certains passages carrément bizarres : quand Cheney et sa femme se mettent à dialoguer en vers shakespeariens, c’est absurde. Mais quand le vice-président usurpe les pouvoirs du président pour commander la machine militaire après l’attentat du 11-Septembre, ou pour donner l’ordre d’assassiner un terroriste, c’est alarmant. On découvre, aussi, d’autres aspects de l’homme Cheney : sa passion de la pêche à la mouche, ses maladies cardiaques, ses liens avec l’industrie pétrolière. Il est drôle, ce pèlerin, mais terrifiant. La critique américaine a désossé le film, soit pour ses inexactitudes historiques, soit pour ses intentions militantes, soit pour son allure de turlupinade sarcastique. Or, c’est justement pour ça que nous, on l’aime. Pas de quartier, pas de « portrait équilibré » pour cette vermine. Cheney, 78 ans aujourd’hui, n’a pas réagi. Mais les suppôts de Satan, oui. Les sbires républicains ont traité le film d’« ordure de caniveau », ce qui est une façon de se définir eux-mêmes. En revanche, tout le monde est tombé d’accord pour s’extasier devant l’interprétation de Christian Bale, qui a pris vingt kilos pour le rôle, et qui se fond complètement dans le personnage. Ce n’est plus du travail d’acteur, c’est de la magie. Le film bastonne, et nous, on jubile.