L'Obs

Ça raconte Sarah

BLOOD SIREN, PAR SARAH MCCOY (BLUE NOTE/ UNIVERSAL).

- BERNARD GÉNIÈS

Nous ne l’avions pas oubliée. C’était un soir de février 2015, lors d’un concert à La Maroquiner­ie à Paris. Elle portait un collant avec un motif de licorne, un short en satin émeraude et un tee-shirt qui laissait voir ses tatouages. Quand elle avait chanté, assise derrière le piano ou faisant le clown sur la scène, une bouteille de vin à la main, nous avions nous aussi chaviré, emportés par cette tornade venue de La Nouvelle-Orléans. Une nouvelle diva du blues et de la soul ? Nous voulions le croire. Et puis Sarah McCoy a disparu (ou presque). Un projet de disque avec le duo perpignana­is des Limiñanas fut annoncé. Nouveau silence. Ne nous restait à écouter, pour seul vestige de ce choc, que l’album autoprodui­t de ses débuts, enregistré live avec un groupe nommé Oopsie Daisies.

Mais les dieux de la musique ne l’ont pas abandonnée. Désormais installée en région parisienne, la chanteuse américaine a enfin enregistré l’album qu’il lui fallait. Deux pointures ont veillé à sa production, le pianiste Chilly Gonzales et le magicien des studios Renaud Letang. Tous deux ont réussi à canaliser une énergie parfois brouillonn­e. Sarah McCoy est désormais une lionne apaisée. Elle rugit moins, elle chante sur un fil, mélancoliq­ue, rageuse, sensuelle. Son blues à elle, c’est sa vie. Elle s’adresse à sa mère (« Mamma’s Song »), elle raconte son enfance, celle où on la traitait de vilain chien (« Ugly Dog »), elle défie le diable (« Devil’s Prospects »). Le piano, soutenu par des arrangemen­ts ténus, conduit des mélodies qui ne dédaignent pas la mélancolie comme dans le magnifique « I Miss Her », lamento fragile sur une jeunesse enfuie. La voix se tait sur « The Death of a Blackbird », un instrument­al où les mains glissent sur le clavier comme pour une pavane dédiée au père disparu. Sarah McCoy se met à nu, martyrisan­t ses propres peurs, convoquant les monstres qui la hantent, ses déchirures, ses galères. Et toujours la flamme de la musique vient la (et nous) brûler. Cette femme est un démon ? Son disque tempère cette vision : Sarah McCoy n’est plus l’ange déchu qui faisait la route dans son van avec ses chiens. Sarah McCoy est devenue un miracle.

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