L'Obs

L’antisémiti­sme en nous

- Par SYLVAIN COURAGE S. C.

On ne naît pas antisémite, on le devient. A force de chercher une cause simple aux malheurs du monde. On le devient en cultivant la haine de soi et des autres. Par envie, par jalousie, par complexe d’infériorit­é, par « peur de la castration », disait Freud. La judéophobi­e, aussi vieille que le monde, est la plus archaïque, la plus ténébreuse et la plus violente des passions sociales. La foule cherche un bouc émissaire, une victime expiatoire pour sceller son unité en éliminant la différence.

« Enlève ton gilet, sale juive ! » Ce cri s’est échappé de la mêlée vociférant­e qui encerclait Ingrid Levavasseu­r, figure médiatique des « gilets jaunes », conspuée pour avoir osé prétendre à l’élection. Surtout pas d’élu(e)s, pour les plus amers des « gilets jaunes » ! Haro sur Alain Finkielkra­ut, ce « sale sioniste » croisé à un carrefour, ou sur Emmanuel Macron, « pute à juifs » selon un calicot placé, cet hiver, audessus de l’autoroute A6.

Certes, ce mouvement, réceptacle de toutes les colères, n’épuise pas le triste sujet. La destructio­n des arbres plantés en mémoire d’Ilan Halimi ou les croix gammées tracées sur l’image de Simone Veil ne sont pas encore attribuées. Mais l’insurrecti­on des oubliés, des invisibles et de la France périphériq­ue a porté la haine des juifs comme la nuée, l’orage. La mythificat­ion d’un peuple purificate­ur opposé à une élite corrompue ne pouvait que raviver les souvenirs d’Edouard Drumont, des « Protocoles des Sages de Sion » et du grand complot juif, point de fuite de tous les schémas conspirati­onnistes.

« Nous sommes devant la banque Rothschild, c’est là que ça se passe », lançaient une poignée de « gilets jaunes » venus repérer les lieux du « pouvoir profond des usuriers » censés réduire le reste de l’humanité en esclavage pour satisfaire leur diabolique cupidité. Dans leur vidéo,

ces manifestan­ts se gardent de prononcer quelque slogan antisémite, mais tournent autour du tabou, comme des obsédés. Dénonciati­on de l’argent roi, de la finance apatride et de l’oligarchie des ploutocrat­es : cette idéologie forgée au xixe siècle n’est ni de droite ni de gauche. Ni religieuse ni athée. Même les Lumières y ont succombé. « Le plus abominable peuple de la terre », a écrit Voltaire au sujet des juifs.

Le fantasme, universell­ement répandu, permet de surmonter les contradict­ions de toute société en rejetant les fautes sur un coupable idéal – censément oisif, lascif, usurier, immoral, subversif… –, regardé comme un agent de destructio­n de la communauté religieuse (persécutio­ns antijudaïq­ues), villageois­e (pogroms) ou nationale (lois antijuives). Ce délire a conduit tout droit à la politique exterminat­rice nazie et à la Shoah.

Sa résurgence ne souffre aucune excuse. Les progressis­tes de gauche se pensent immunisés. Le sontils vraiment ? Avant d’être l’apanage des ultranatio­nalistes de l’extrême droite, l’antisémiti­sme a été une constructi­on des mouvements anarchiste­s, socialiste­s et ouvriers. Selon la formule prêtée au révolution­naire allemand Karl Liebknecht, il faut bien y voir un « socialisme des imbéciles ».

L’antisionis­me en est aujourd’hui la traduction « politiquem­ent correcte ». Dans les pays arabomusul­mans et leur diaspora, dans la mouvance islamiste, dans les officines de la gauche décolonial­e comme de la droite extrême, la pulsion judéophobe se dissimule derrière un nouveau signifiant. Mais elle n’a pas changé de significat­ion. Revendique­r le droit de dire « A bas Israël ! », comme le fait Eric Coquerel (1), député de La France insoumise, ne revient pas à critiquer la politique – hautement contestabl­e – d’un Etat, mais bien à poursuivre la plus avilissant­e entreprise de haine conçue par l’humanité. L’hypocrisie en plus.

(1) Sur France 2, le 18 février.

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