L'Obs

Martin Hirsch réplique à Edouard Louis

Accusé par l’auteur d’“EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEUL­E” d’avoir “tué” son père, l’ex-président d’Emmaüs se défend dans un roman policier. L’arme du CRIME ? Le RSA

- Par ÉLISABETH PHILIPPE

COMMENT J’AI TUÉ SON PÈRE, par Martin Hirsch, Stock, 192 p., 18 euros (à paraître le 27 février). Imaginez. Vous vous réveillez et vous apprenez que vous êtes un meurtrier. C’est ce qui est arrivé à Martin Hirsch. En mai 2018 paraît « Qui a tué mon père ». L’écrivain Edouard Louis y fait le procès de ceux qui, à ses yeux, ont contribué à la maladie de son père, ouvrier. Il ne dénonce pas qu’un système, mais ceux qui le font, les responsabl­es politiques dont les décisions nuisent aux plus faibles. Au banc des accusés : Jacques Chirac, Emmanuel Macron, François Hollande, Myriam El Khomri, mais aussi Nicolas Sarkozy et son « complice » Martin Hirsch, le concepteur du Revenu de Solidarité active (RSA) qui devait favoriser le retour à l’emploi. « La vérité, c’était que dorénavant tu étais harcelé par l’Etat pour reprendre le travail, malgré ta santé désastreus­e », écrit Edouard Louis, expliquant que son père a dû accepter un travail de balayeur. « Nicolas Sarkozy et Martin Hirsch te broyaient le dos », assène-t-il. Ancien président d’Emmaüs France, aujourd’hui directeur de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch a décidé de répondre à Louis par un roman : « Comment j’ai tué son père ». Il passe aux aveux, mais ne plaide pas coupable.

Commentave­z-vousappris que vous aviez « tué » le père d’Edouard Louis ?

J’écoute France-Info et France-Culture tous les matins. Tout d’un coup, j’entends « le livre d’Edouard Louis où il explique que son père est mort à cause du RSA de Martin Hirsch ». Comme je suis directeur de l’AP-HP, j’ai d’abord cru qu’il y avait eu un accident dans un hôpital. Puis je suis allé feuilleter le livre. D’abord, je ne l’ai pas pris au sérieux. En revanche, j’étais choqué qu’Edouard Louis cite sept assassins dont moi, et que personne ne s’en offusque. Puis j’ai relu cette fameuse page 82 où il énumère les assassins et écrit : « Je veux que ces noms deviennent aussi inoubliabl­es qu’Adolphe Thiers [...] ou que Jack l’Eventreur. » C’est un appel public à la haine. Je n’y ai pas vu la moindre pincée d’humour ou de second degré. Je ne connaissai­s pas Edouard Louis et il me convoque pour régler ses comptes personnels ou politiques. Il n’y a pas de raison qu’il ait le dernier mot, avec son livre traduit partout et adapté au théâtre.

Parmi les autres meurtriers, il y a

Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron. Avez-vous parlé du livre avec eux ?

Non. On n’allait pas former une ligue d’assassins.

Avez-vous adressé à Edouard Louis la lettre que l’on peut lire dans votre livre ?

Oui. Comme je ne voulais pas appliquer les mêmes méthodes que lui, j’ai souhaité connaître sa position. D’où les questions que je lui pose dans cette lettre. Lorsque j’ai relu son texte avec l’oeil du profession­nel du RSA, j’ai eu l’impression que chaque phrase était un nonsens. Il écrit, par exemple, que l’Etat a harcelé son père pour reprendre un travail, alors que le RSA est de la compétence du départemen­t. J’ai essuyé des reproches diamétrale­ment opposés de la part de la droite wauquiéris­te, prétendant que le RSA ne forçait pas les gens à retravaill­er. Si ça avait été le cas du père d’Edouard Louis – je pense que non –, cela aurait pu être intéressan­t qu’il m’en parle. En fait, je brûlais d’envie de prendre ma voiture et d’aller en Picardie. J’aurais aimé rencontrer le père d’Edouard Louis, pas du tout pour le tuer, mais pour savoir la réalité.

Pourquoi avez-vous répondu par un roman ?

Le livre d’Edouard Louis est une telle fiction que je ne pouvais y répondre que par la fiction.

Vous imaginez donc qu’un jeune écrivain en pleine ascension engage un certain Nitram pour tuer son propre père. Ce Nitram, vous lui prêtez beaucoup de vos traits. Son enfance ressemble à la vôtre, une partie de sa famille a été déportée à Auschwitz, comme la vôtre.

Je tente depuis très longtemps de convaincre les classes aisées et dirigeante­s d’arrêter de stigmatise­r les pauvres. Dans leurs livres, Edouard Louis ou Didier Eribon expliquent vouloir sortir du déterminis­me, mais l’appliquent aux autres. J’avais envie de montrer que la réalité est plus complexe. Mon double ne vient pas d’une famille ouvrière, mais il est passé par des choses difficiles. Moi aussi. J’ai écrit un livre anti-déterminis­mes.

Quand Nitram arrive en Picardie, il met du temps à comprendre qu’un enfant se prénomme Johnny car sa mère prononce « jauni ». Vous ne craignez pas d’être accusé de mépris social ?

Ce n’en est pas. Le livre a eu très peu de lecteurs à ce stade, mais la seule réaction que j’ai eue sur les personnage­s, c’est : « On a l’impression que tu les aimes trop, tu aurais dû les faire plus fachos et bas de plafond. »

Edouard Louis estime justement que les écrivains ont souvent tendance à idéaliser les classes populaires, à en faire des « bons sauvages ».

Les relations que j’entretiens avec les gens sont strictemen­t indépendan­tes de leur niveau de diplôme et de leur origine. J’ai appris ça pendant mes études de médecine et à Emmaüs.

Le RSA a été critiqué, accusé de favoriser le travail précaire. Vous vouliez le réhabilite­r ?

Oui, j’étais content que le livre d’Edouard Louis m’offre le prétexte de faire un plaidoyer du RSA.

Votre roman est sans doute le premier à parler des « gilets jaunes ».

Je ne fais pas partie de ceux qui prétendent avoir prévu ce mouvement. Mais quand les « gilets jaunes » sont apparus, cela m’a rappelé la journée que j’avais passée avec des électeurs du Front national et que je raconte dans le livre. J’avais rencontré une frange de la population invisible qui ne correspond­ait pas à ce qu’on décrivait. Cela a changé ma grille de lecture.

Des débats entre Nitram et les « gilets jaunes » émergent des solutions, comme le tirage au sort d’un tiers des parlementa­ires. Ce sont aussi vos idées ?

Un des personnage­s de mon livre a lu « Contre les élections », de David Van Reybrouck. Moi aussi et j’ai réfléchi à la praticabil­ité du tirage au sort. J’ai récemment profité du grand débat pour organiser une rencontre avec 150 jeunes à La Rochelle. Il a surtout été question d’environnem­ent et de démocratie.

Pensez-vous qu’Edouard Louis va répondre à votre livre ?

Je ne me mets pas dans sa peau, je ne sais pas. Je préférerai­s que ce soit son père qui me réponde. C’est ce qui m’intéresse le plus. J’ai voulu créer du contradict­oire avec ce livre, pour faire sortir Edouard Louis de ses certitudes.

Nous lui avons proposé de débattre avec vous. Il a répondu que c’était impossible.

Pour moi, c’est possible.

Né en 1963 à Suresnes, MARTIN HIRSCH est haut fonctionna­ire. Il a présidé Emmaüs France avant d’entrer au gouverneme­nt Fillon, en 2007, comme haut-commissair­e aux Solidarité­s actives contre la pauvreté. Il est, depuis 2013, directeur général de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

“JE VEUX FAIRE SORTIR ÉDOUARD LOUIS DE SES CERTITUDES”

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Edouard Louis
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