L'Obs

Le nouveau roman d’André Aciman

Né en Egypte, ANDRÉ ACIMAN a connu un succès mondial avec “CALL ME BY YOUR NAME”, adapté au cinéma par Luca Guadagnino. Il publie un nouveau roman. Entretien

- Propos recueillis par DIDIER JACOB

Les Variations sentimenta­les, par André Aciman, traduit de l’anglais par Anne Damour, Grasset, 368 p., 20,90 euros.

L’Italie toujours : non plus la belle villa ligure de « Call Me by Your Name », son roman devenu un best-seller internatio­nal avec l’adaptation au cinéma de Luca Guadagnino, mais une île du sud de la péninsule où, avec ses parents, le jeune Paul a l’habitude de passer ses vacances. Il y flirte avec Giovanni, l’ébéniste local à qui sa mère a demandé de restaurer des meubles. Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’il finit par comprendre que Gianni est en réalité, depuis le début, l’amant de son père! Quelques années plus tard, Paul aperçoit sa femme Maud en compagnie d’un bellâtre et se venge de leur possible liaison en tombant fou amoureux de Manfred, son partenaire de tennis. Mais voici que Paul trahit le tennisman pour Chloé, son amour de jeunesse, avec laquelle il part, le temps d’un week-end, visiter le campus où ils se sont connus. « Les Variations sentimenta­les » a l’élégance d’un film de Max Ophuls (« la Ronde ») et témoigne d’une maestria exceptionn­elle dans la peinture des relations amoureuses. André Aciman s’en explique.

Comment est née votre passion pour la littératur­e française?

Même si je ne serai jamais à même d’écrire en français en tant qu’écrivain, le français restera toujours ma langue maternelle et, pour ainsi dire, la langue du coeur. Il m’arrive parfois de me réveiller le matin et de parler à ma femme en français, langue qu’on ne parle jamais chez nous, vu qu’elle ne la connaît quasiment pas. Mon père était un grand lecteur avant de devenir un homme d’affaires, et c’est de lui que j’ai acquis le goût de la lecture. Il aimait la littératur­e française au-dessus de toutes les autres et c’est lui qui m’a amené à aimer Stendhal, Proust, Racine.

Pourriez-vous décrire l’ambiance qui régnait dans votre maison et votre ville d’Alexandrie lorsque vous étiez enfant?

Mes parents auraient dû divorcer, mais ils ne l’ont pas fait pour des raisons de faiblesse, d’irrésoluti­on. Mon père a toujours trahi ma mère, ce qui provoquait de terribles querelles et il fallait que les domestique­s intervienn­ent pour les séparer. On criait beaucoup à la maison, sans doute parce que ma mère était complèteme­nt sourde, et de loin la plus bruyante. Les voisins en savaient quelque chose. Il n’y avait pas, en somme, d’harmonie chez nous. Ni à Alexandrie d’ailleurs. Notre cercle se

rétrécissa­it constammen­t et, comme je l’ai déjà dit dans un de mes livres, la table de la salle à manger perdait une rallonge chaque année. Les chaises disparaiss­aient, tout devenait de plus en plus petit, plus étriqué… et on commençait à avoir peur. Mais la vie continuait : bien qu’on ne nous obligeât pas à porter l’étoile jaune, nous n’étions pas égyptiens, et plus les années s’écoulaient, plus les gens dans la rue nous considérai­ent comme des étrangers. L’usine de mon père a finalement été nationalis­ée, nos biens ont été séquestrés et, en 1965, nous avons été expulsés. Quand nous sommes arrivés en Italie, j’ai appris que mes amis juifs qui avaient plus de 16 ans avaient été internés dans des camps de concentrat­ion, en Egypte, pendant la guerre de Six-Jours.

Quel effet a eu sur votre personnali­té la découverte de l’Italie quand vous étiez jeune?

L’Italie que j’ai connue en 1965 était un pays de contradict­ions. Je l’imaginais moderne, mais il était complèteme­nt arriéré. Je préférais de loin l’Italie des images, l’Italie que je m’étais imaginée en Egypte. Pendant presque un an, en rentrant de l’école, je m’enfermais dans ma chambre et je lisais. Parfois, même, je fermais les volets pour ne plus voir le quartier où l’on habitait : un quartier populaire, bruyant, un quartier de la classe ouvrière et de la très basse bourgeoisi­e. Il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que nous étions devenus pauvres – et je l’ai ressenti très profondéme­nt. Mais c’est aussi en Italie que j’ai découvert le désir sexuel, chose très, très floue, où se mêlaient la peur et la honte, l’envie folle d’aller vers autrui, suivie d’un recul quasiment immédiat.

Faut-il lire votre roman comme un plaidoyer pour un retour à une vie amoureuse à la manière des Anciens – ni homo ni hétérosexu­elle –, mais ouverte à tous les genres ?

Je ne sais pas si mon roman est un plaidoyer – j’ai horreur des romans qui prêchent une cause ou même une idée! Mais je ne crois pas qu’on puisse être totalement homo ou hétéro. La sexualité n’est pas une nationalit­é, mais un enjambemen­t de désirs qui se touchent, se joignent, se heurtent même, et qui sont toujours tressés l’un dans l’autre. Donc, oui, à la manière des Anciens.

Est-ce que la nostalgie est la marque du style Aciman?

J’aime revenir dans le passé, j’aime creuser dans les souvenirs. Parfois, ce n’est pas ce dont je me souviens qui me plaît, mais l’acte simple et pur de la mémoire : j’aime me rappeler, dans le sens intransiti­f, sans objet. J’aime aussi retrouver un détail, une odeur, un visage, un endroit, une habitude, tout ce qui a depuis longtemps été perdu.

Comment avez-vous vécu le succès de « Call Me by Your Name » ?

J’ai toujours refusé de m’emballer ou de croire que ma vie pourrait changer grâce à un succès littéraire ou à un film. Mais se savoir apprécié, même adulé par les spectateur­s et les lecteurs, est une source de joie parce que je peux en retirer l’impression que ce que je fais, ce que je pense et ce que je dis n’est pas ignoré par le reste de l’humanité. Ça me prouve que je ne suis pas un monstre, un drôle d’incompris ou un énergumène qui brasse des mots dans l’indi érence générale.

Quand vous avez vu le film pour la première fois, quel a été votre sentiment?

J’ai adoré le film. Bien entendu, la maison au bord de la mer se trouve déplacée et transposée au milieu de la Lombardie, le petit voyage à Rome devient un séjour à Bergame, et ainsi de suite. Mais l’intensité de l’amour des deux garçons reste la même, les meilleures scènes sont là, celle de l’aveu ne pourrait être mieux jouée, et le discours du père est transposé presque mot à mot. ■

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 ??  ?? Dans « Call Me by Your Name », Oliver (Armie Hammer) et Elio (Timothée Chalamet) vivent une histoire d’amour intense et sensible.
Dans « Call Me by Your Name », Oliver (Armie Hammer) et Elio (Timothée Chalamet) vivent une histoire d’amour intense et sensible.
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