L'Obs

« Les Tuche 3 » : navet, césar !

Au terme d’une année riche en BONNES COMÉDIES, les César s’apprêtent à couronner “LES TUCHE 3”. Et vous trouvez ça drôle ?

- Par NICOLAS SCHALLER

44e CÉRÉMONIE DES CÉSAR, Canal+, 22 février, 21 heures.

2018 restera comme un grand cru pour le cinéma français. Variété des sujets, éclectisme des traitement­s, pluralité des styles. Une diversité que reflètent les nomination­s au César. On y trouve un thriller sur la violence conjugale (« Jusqu’à la garde »), un feel-good movie en maillot (« le Grand Bain »), une adaptation de Marguerite Duras (« la Douleur »), un pseudo-docu sur une fausse vedette de la chanson (« Guy »), un western picaresque (« les Frères Sisters »), un précis d’adoption (« Pupille »). N’étaient quelques absences regrettabl­es dans les catégories phares, comme « Mektoub, My Love », d’Abdelatif Kechiche, et « Plaire, aimer et courir vite », de Christophe Honoré, l’affiche serait parfaite. Enfin, presque : « les Tuche 3 » est, à ce jour, le seul film assuré d’être primé ! Au terme d’une année exceptionn­ellement riche en comédies de qualité, avec « En liberté ! », « le Grand Bain », « Guy », « Au poste ! », « Gaspard va au mariage », « Bécassine » ou « I Feel Good », c’est le navet d’Olivier Baroux qu’une statuette va couronner. La faute au césar du public, décerné au film qui a cumulé le plus d’entrées en salles et créé l’an dernier par le président de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, Alain Terzian, pour réconforte­r son ami Dany Boon. On se souvient qu’en 2009 le chti préféré des Français s’était plaint que le rire soit ignoré par l’institutio­n et avait appelé à la création d’un césar de la comédie. Propositio­n rejetée par le conseil d’administra­tion, et ce fut donc le césar… du public. Le premier à le recevoir fut le bon Boon pour le mauvais « Raid dingue ». Le deuxième ira donc à la farce gilet jaune pipi, dans laquelle Jeff Tuche (Jean-Paul Rouve) se retrouve à l’Elysée malgré lui. Un sommet de laideur, d’humour rachitique, de démagogie et d’entrées : 5,6 millions !

Pourquoi s’en plaindre ? D’abord parce que considérer le nombre de tickets vendus comme critère exclusif du goût du public est insultant pour ce dernier. Les notes des spectateur­s sur Allociné valent ce qu’elles valent – la plupart sont trafiquées par les producteur­s et distribute­urs qui votent pour leurs titres sous de faux noms –, reste que le 2 sur 5 des « Tuche 3 » compte parmi les plus basses de l’an dernier. Ensuite parce que la comédie française ne mérite pas un tel mépris ; n’en déplaise à Dany Boon, l’idée reçue selon laquelle le genre est snobé par les César est fausse. De « Nous irons tous au paradis » à « Intouchabl­es », des « Visiteurs » à « l’Arnacoeur », de « l’Auberge espagnole » au « Dîner de cons », un grand nombre de succès comiques ont été nommés pour le césar du meilleur film. Et sur les 44 remis depuis 1976, plus d’une dizaine sont allés à des comédies, dont « les Ripoux », « Trois Hommes et un couffin », « Ridicule », « On connaît la chanson », « Venus Beauté (Institut) », « le Goût des autres » ou « Les garçons et Guillaume, à table ! ». S’y ajoute le césar de la meilleure première oeuvre qui a récompensé « La vie est un long fleuve tranquille », « les Trois Frères », « Didier », « Dieu seul me voit », « Je vous trouve très beau », « les Beaux Gosses ». Certes, Francis Veber et Pierre Richard ont longtemps été ignorés. Bruno Podalydès et Pierre Salvadori (nommé pour la première fois avec « En liberté ! ») n’ont toujours pas été reconnus à leur juste valeur. Ce n’est pas le césar du public aux « Tuche 3 » qui va les réconcilie­r avec cette remise de bons points entre profession­nels de la profession. Même à Hollywood, la mecque du dollar roi, ils n’ont pas voulu de cette prime au tiroir-caisse. En août dernier, le président de l’Académie des Oscar, John Bailey, a milité pour la création d’un oscar du « film populaire », distinguan­t le plus gros succès commercial de l’année, afin de réconcilie­r les téléspecta­teurs avec la cérémonie, en perte d’audience. L’idée a été si mal accueillie par les gens du métier qu’elle a fini dans un placard. Rendons aux César ce qui est aux César : un bilan des oeuvres et talents qui ont compté dans l’année. Pour les champions du box-office, il existe déjà les trophées de la revue « le Film français ». Imagine-t-on un prix Goncourt des lecteurs pour consoler Guillaume Musso et Marc Levy ?

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Carton au box-office, le film d’Olivier Baroux va recevoir le césar du public.
 ??  ?? Retrouvez tous les jeudis L’OBS dans La DISPUTE, produite par Arnaud Laporte de 19h à 20h sur France Culture.
Retrouvez tous les jeudis L’OBS dans La DISPUTE, produite par Arnaud Laporte de 19h à 20h sur France Culture.

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