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JOURNAL SECRET 1941-1944, PAR CURZIO MALAPARTE, TRADUIT DE L’ITALIEN PAR STÉPHANIE LAPORTE, QUAI VOLTAIRE, 336 P., 23,70 EUROS.
Qui était Malaparte ? L’auteur de « la Peau » doit-il encore payer son engagement fasciste, qui a fait de lui ce paria infréquentable de la littérature italienne, quand d’autres écrivains, guère plus recommandables au regard de la moralité politique, s’en tirèrent mieux que lui (notamment l’écrivain Dino Buzzati, note Stéphanie Laporte en introduction) ? S’il apporte quelques lumières sur les choix de Malaparte pendant la guerre, ce Journal inédit montre surtout que l’écrivain est resté, tout au long de son existence, un observateur extérieur. Sans doute, envoyé par le « Corriere della Sera » sur le front pour rendre compte de l’avancée de la Wehrmacht, dans les années cruciales 1942-1943, Malaparte ne semble pas souffrir de fréquenter les dignitaires nazis. Mais sa description du général Mensch, qui commande l’aviation allemande sur le front nord, n’est guère à son avantage. Avec sa bouche édentée, il a une voix « typique des vieux, des petits vieux plutôt ». Et lorsque Mensch lui montre le sauna qu’il a fait aménager pour ses officiers, Malaparte a un choc : c’est la première fois qu’il voit des Allemands complètement nus. « Totalement blancs, mous, sans défense, impuissants, flasques. » Et d’en tirer cette étrange conclusion : « L’histoire du peuple allemand est une histoire tragique ; c’est l’histoire du contraste entre ces visages durs et ces corps nus, sans défense, sans peau. » On est loin des actualités de propagande. Malaparte a trop de style pour s’acoquiner avec les officiers nazis, presque toujours ivres, bruyants, triomphants de vulgarité. En reportage en Laponie (8 août 1942), il s’aventure, en pleine nuit, dans une vallée sauvage quand une femme nue, soudain, traverse son champ de vision. L’instant parfait, décisif comme chez Cartier-Bresson, l’instant où la vie se transforme en poème resplendissant : « Aucune hâte, aucune urgence n’émane de ce paysage, de cette nature : seulement un triste et profond souvenir. » En 1943, il est de retour dans son bunker nouvellement construit de Capri où Godard tournera son « Mépris ». N’est-ce pas, justement, ce « mépris » qui caractérise l’oeuvre amorale du plus grand des mécompris ? Face à la mer, il écrit « Kaputt », reçoit Robert Capa chez lui. Mais la guerre le rattrape, et il est arrêté par des officiers américains qui le soupçonnent de collaboration avec les fascistes. Pour Malaparte, l’intraitable postérité commence.