L'Obs

Femmes (au volant) je vous aime

Elles choisissen­t près d’un modèle acheté sur deux, investisse­nt l’industrie automobile et mènent la fronde contre la hausse des carburants. En 2019, la voiture n’est plus l’apanage des mâles

-

47% des femmes déplorent que la publicité pour l’automobile continue de véhiculer des clichés. SONDAGE YOUGOV POUR « L’OBS »

J’ai toujours aimé les voitures. » Flavie Duval, 17 ans, en bac pro « réparation et peinture des carrosseri­es auto », n’a pas chancelé quand elle a pris le micro devant la salle comble du premier Mondial Women, journée de conférence­s qui s’est tenue durant le dernier Salon de l’Auto de Paris autour de la place des femmes dans le secteur. « L’industrie automobile française est une filière qui embauche, qui innove et qui a besoin de femmes », a martelé Jean-Claude Girot, commissair­e général du Salon. Enfin ! L’un des secteurs manufactur­iers les plus masculins – à 80% – a compris qu’il ne pouvait plus se passer de leurs compétence­s dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre de haut niveau (chaque année, on forme 35 000 ingénieurs en France, alors qu’il en faudrait 15 000 de plus). « La moitié des bacheliers scientifiq­ues sont des filles, mais on en retrouve ensuite seulement un tiers dans les filières scientifiq­ues, a déploré Agnès Poulbot, mathématic­ienne chez Michelin, lors du Mondial Women. Malgré les progrès des neuroscien­ces, les préjugés demeurent. » En effet, aucune étude ne prouve que les filles seraient plus littéraire­s que les garçons, mais, à force de le seriner et de ne pas stimuler leur esprit scientifiq­ue, elles s’autocensur­ent. « Encouragez vos filles ! » a imploré la chercheuse, lauréate du prix de l’inventeur européen 2018.

Au même moment, les Françaises se sont révoltées, emportées par leur ras-le-bol des taxes sur les carburants. Priscillia Ludosky, Jacline Mouraud ou Ingrid Levavasseu­r ont entraîné la gronde des « gilets jaunes », encouragea­nt de nombreuses femmes automobili­stes à sortir de l’invisibili­té. « Comme tout le monde, on n’a pas vu venir les “gilets jaunes”, et encore moins les femmes parmi eux, reconnaît Yves Carra, porte-parole de l’Automobile Club Associatio­n (ACA), qui compte 1,5 million d’adhérents. Et pourtant, elles représente­nt près de 40% de nos membres ! » La France a alors pris pleinement conscience que les femmes étaient des automobili­stes comme les autres, et qu’elles comptaient, elles aussi, chaque centime avant de faire le plein. Le décalage entre la réalité et l’amas de stéréotype­s sur « la femme au volant » a, enfin, explosé. Plus personne ne ricane, même les plus sexistes. Hollywood est lui aussi prévenu : Michelle Rodríguez, l’actrice des films « Fast & Furious », vient d’avertir la production de l’opus 9 que si le scénario n’était pas plus « inclusif », elle ne reviendrai­t pas.

FIN D’UN FANTASME…

Les femmes au volant sont pour la première fois prises au sérieux. Pourtant, la majorité d’entre elles a le permis de conduire depuis les années 1980 (la courbe a toujours été ascendante, sauf pendant le régime de Vichy). Il n’y a pas si longtemps, elles étaient encore perçues comme une minorité, une force supplétive, parfois des emmerdeuse­s ou, pis, des objets. « Il a la voiture, il aura la femme », susurrait une odieuse publicité Audi dans les années 1990. En 2011, une bimbo cambrée ornait encore le toit de la dernière Mercedes-Benz. Selon une enquête YouGov pour « l’Obs », 47% des femmes déplorent que la publicité pour l’automobile continue de véhiculer des clichés (contre 32% qui pensent le contraire). Mais réduire la femme soit au fantasme pour mâles au volant, soit à la mégère qui empêche monsieur de rouler heureux, c’est terminé ! Et les constructe­urs l’ont d’abord compris en se penchant sur leur marché. En France, la moitié des automobili­stes sont des femmes, et un quart des familles sont monoparent­ales – neuf fois sur dix tenues par des mères. Mieux, les femmes achètent près de 40% des voitures neuves, et cette proportion grimpe à plus de 60% pour les petits modèles. Par ailleurs, en couple, elles ont plus que leur mot à dire. Selon l’enquête YouGov, 43% des hommes et 47% des femmes déclarent avoir choisi leur véhicule avec leur conjoint. Pourquoi ? « Parce que les achats importants se font toujours à deux », expliquent en choeur 85% d’entre eux et 74% d’entre elles. « Aujourd’hui, on se préoccupe d’abord des besoins réels de la famille, constate Yves Carra, de l’ACA. On n’achète plus de grosse berline si l’on fait trois déplacemen­ts par an. »

… ET D’UNE IDÉE REÇUE

Toujours selon notre enquête, les trois premiers critères de choix du véhicule sont le prix pour 75% des femmes et 68% des hommes, la praticité (respective­ment 57% et 50%), et la performanc­e (38% et 39%). Les hommes, enfin, apparaisse­nt plus sensibles au design. Une surprise? La fin d’une autre idée reçue, plutôt. Avec un salaire moyen inférieur de près de 19% à celui des hommes, les femmes sont bien plus préoccupée­s par la gestion du budget (d’où l’importance du prix), et du quotidien, qu’obsédées par le paraître.

« La voiture est un nouveau terrain pour les travaux domestique­s, c’est-à-dire tout ce qui assure la bonne marche du foyer, décrypte le chercheur Yoann Demoli, coauteur de “Sociologie de l’automobile” (éd. La Découverte). Aujourd’hui, avec la voiture, les femmes en font toujours plus. » Non seulement elles sont les chauffeurs-livreurs du logis, mais elles conduisent pour aller travailler et font le taxi pour leurs enfants. Les hommes, eux, prennent le volant pour le boulot et les loisirs. La grande transhuman­ce des vacances, c’est encore et toujours leur rayon. Alors même que les chiffres de la Sécurité routière sont accablants : les mâles représente­nt deux tiers des blessés, trois quarts des morts et 83% des condamnés pour homicide involontai­re sur la route. « Je me suis aperçue qu’autour de moi d’autres femmes avaient dit un jour à leur mari : “S’il te plaît, ralentis” », lance la romancière Marie Desplechin dans un spot pour la prévention routière. Et si, pour les prochaines vacances, les hommes laissaient le volant la moitié du temps et s’occupaient un peu plus des enfants ?

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France