“L’acte médical est une relation humaine”
Laurent Lantieri est chef du service de chirurgie reconstructrice et esthétique à l’hôpital Pompidou à Paris, auteur de la première greffe totale de visage.
Le gouvernement souhaite développer l’usage de la télémédecine. Qu’en pensez-vous ?
C’est oublier que l’acte médical est avant tout une relation humaine : on ne remplacera pas les médecins par des cabines Photomaton. On mélange souvent télémédecine et numérique : autant la révolution numérique et l’intelligence artificielle nous seront d’un précieux secours dans certains domaines, notamment la génomique et l’aide au diagnostic, autant la télémédecine telle qu’on nous la présente est une conception du xxe siècle.
N’y a-t-il pas des cas où elle peut se révéler utile ?
Si l’on parle de la transmission d’images, les médecins le font déjà depuis longtemps : lorsqu’un patient a un problème de pansement ou de cicatrisation, il m’envoie une photo. Si l’on parle d’examens réalisés en cabine, il faut savoir que les capteurs peuvent donner un résultat différent du contact humain. L’examen clinique reste essentiel : il permet d’observer un patient sous toutes les coutures, parfois de trouver ce qu’on ne cherchait pas. Evidemment, lorsqu’un patient a un suivi particulier sur le long terme et qu’il connaît très bien sa pathologie, la télémédecine peut suffire. Mais vouloir l’étendre à la médecine générale est une illusion totale.
Que répondez-vous à ceux qui disent qu’elle pourrait être une solution à la désertification médicale ?
Qu’être généraliste en Corse ou à Valenciennes, ce n’est pas le même métier. Le médecin local connaît ses malades, sait répondre aux réalités quotidiennes. On ne s’attaque pas au fond du problème : pourquoi les généralistes ne font-ils plus de tournées ? Parce que la consultation est à 25 euros. Le jour où on les paiera correctement, ils le feront à nouveau, les patients âgés libéreront les urgences. Pour soixantedix heures de travail par semaine, le niveau de vie d’un généraliste français n’est pas énorme, comparé à la moyenne européenne. Quand on entend qu’il faut faire des actes de dix minutes pour rentabiliser le système, on remplace un acte artisanal par un process industriel et on passe forcément à côté de beaucoup de choses.
L’Ordre des Médecins veut une régulation de la télémédecine pour contrer la multiplication des plateformes...
C’est une vraie question. L’Etat a, par défaut, délégué la gestion des prises de rendez-vous à des sites privés, notamment Doctolib qui vient de se lancer dans les téléconsultations. Ces plateformes sont terriblement efficaces et il est évident qu’elles vont se rendre maîtres du marché de la télémédecine. Mais imaginez que ces sociétés, qui disposent de millions de données de patients, soient rachetées demain par une mutuelle ou une assurance ? C’est le rôle du gouvernement d’anticiper les dérives et de faire respecter des règles.