L'Obs

Tout feu, toute femme

Pendant vingt ans, Goliarda Sapienza a tenu un journal. L’auteure de “l’Art de la joie” s’y montre aussi intense que dans ses romans CARNETS, PAR GOLIARDA SAPIENZA, EXTRAITS CHOISIS PAR ANGELO PELLEGRINO, TRADUIT DE L’ITALIEN PAR NATHALIE CASTAGNÉ, LE TR

- ÉLISABETH PHILIPPE

Découvrir Goliarda Sapienza, c’est aussitôt chercher à renouveler l’enchanteme­nt que procurent sa langue aux étranges inflexions, ses images mûries sous le soleil de Palerme ou de Positano. A ce désir s’ajoute un sentiment d’urgence, une avidité à rattraper le temps perdu, toutes ces années durant lesquelles l’oeuvre de l’auteure italienne a végété dans les limbes, avant d’être redécouver­te en 2005, avec la réédition de son ample fresque solaire « l’Art de la joie ». Triste gloire posthume. Malgré les échecs, Sapienza n’a jamais cessé d’écrire. De 1976, année où elle acheva « l’Art de la joie », à sa mort en 1996, elle a noirci plus de 8 000 pages dont paraissent aujourd’hui de larges extraits. Elle se montrait pourtant réticente à l’idée de tenir un journal : « Cette façon d’écrire pour soimême finit toujours par trop amollir les sentiments », notet-elle en décembre 1976. Aucun risque d’amollissem­ent avec Sapienza, dont le tempéramen­t de feu a été forgé par des parents anarchiste­s et par l’air volcanique de la Sicile. De son écriture de chair et de lave, elle confie ses déceptions et ses angoisses, mais aussitôt se reprend. Celle qui s’est racontée dans la trilogie « Autobiogra­phie des contradict­ions » sait allier les extrêmes. Elle passe du récit d’un voyage en Transsibér­ien à ses pérégrinat­ions à travers l’Italie pour une tournée théâtrale ; restitue avec fougue son séjour en prison, ce « bain de vie » où elle a atterri pour avoir volé des bijoux. Elle dit aussi les amis qui meurent en même temps que les illusions, le temps qui passe : « C’est maintenant dans la maturité, et bientôt dans la vieillesse qui approche, que tu trouveras la raison d’être femme, la significat­ion, la beauté de cette condition. […] Ne déserte pas juste quand tu commences à comprendre. » Ce sont les mots, dignes et beaux, d’une femme qui n’a jamais abdiqué.

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