L'Obs

Le diable et le bon Dieu

GRÂCE A DIEU, PAR FRANÇOIS OZON. DRAME FRANÇAIS, AVEC MELVIL POUPAUD, DENIS MÉNOCHET, SWANN ARLAUD, FRANÇOIS MARTHOURET, BERNARD VERLEY (2H17).

- NICOLAS SCHALLER

Il faut reconnaîtr­e à François Ozon un génie du plan d’ouverture. Celui de « Grâce à Dieu » est muet ; on y voit la silhouette du cardinal Barbarin surplomber Lyon du haut de la basilique Notre-Dame de Fourvière. L’emprise et le silence de l’Eglise sont résumés en une image, que les 2h15 qui suivent rendent insupporta­ble, mais ne parviennen­t pas à effacer. Pour raconter l’omerta autour du prêtre pédophile Bernard Preynat et la douleur des hommes qui furent ses victimes, Ozon se focalise sur trois d’entre elles, entre 2014 et 2016. Alexandre (Melvil Poupaud, photo), quadra, père de famille nombreuse, catholique pratiquant, décide de confronter le diocèse de Lyon à sa responsabi­lité dans les attoucheme­nts qu’il subit au camp scout Saint-Luc, entretient une correspond­ance avec Barbarin, et, face à ses louvoiemen­ts, crée le site internet La Parole libérée pour recueillir les témoignage­s d’autres victimes. Parmi elles, François (Denis Ménochet), moins timoré qu’Alexandre, impulse la médiatisat­ion de l’associatio­n et assiste la police dans son enquête. Laquelle trouve un témoin clé en Emmanuel (Swann Arlaud) : d’extraction modeste, rongé par le traumatism­e, il souffre d’épilepsie, d’une déformatio­n pénienne et peine à trouver un équilibre dans sa vie. La barque d’Emmanuel paraît chargée, elle est portée par une tonalité mélodramat­ique. C’est la grande idée du film : adapter le registre de chaque partie à la personnali­té de son protagonis­te. La chronique bourgeoise et épistolair­e pour Alexandre, le film d’investigat­ion pour François et le drame fassbindér­ien pour Emmanuel. Ainsi, Ozon offre une forme cinématogr­aphique au passage de relais qui permit de faire éclater l’affaire, et évoluer la parole. D’intime, celle-ci devient engagée, citoyenne, voire résiliente. Pour autant, le cinéaste ne se départ pas de son ironie. Il croque la bourgeoisi­e lyonnaise, s’amuse de l’ambiguïté des préceptes chrétiens pour stigmatise­r le discours pernicieux des représenta­nts du clergé. « Selon notre Seigneur, il faut aimer les enfants. Pas trop, évidemment », ose dire le cardinal Barbarin, incarné par François Marthouret. On pourrait consacrer des tartines à sa voix glaçante, aux sourires à double tranchant de Bernard Verley (le père Preynat), à Poupaud, Arlaud, Ménochet. Un bémol : les flash-back dans le camp scout, elliptique­s et stylisés façon cinéma d’horreur, déréalisen­t les faits au lieu de nous y sensibilis­er. C’est la seule faute de goût de ce film important, peut-être le meilleur de son auteur, qui, d’homme à dogme, tisse un linceul à l’inhumanité de l’Eglise sans verser dans l’anticléric­alisme.

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« Grâce à Dieu » a obtenu le grand prix du jury au Festival de Berlin.

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