Les masques et les plumes
CHARLES FRÉGER. CIMARRON. MUSÉE D’HISTOIRE DE NANTES; 02-40-20-60-11. JUSQU’AU 14 AVRIL. CATALOGUE DE L’EXPO (À PARAÎTRE LE 13 MARS), ACTES SUD, 320 P., 35 EUROS.
Ils étaient des fugitifs, les colons espagnols leur donnaient le nom de cimarrón qui signifie « celui qui vit sur les cimes ». Arrachés à l’Afrique, ces esclaves se réfugiaient dans les forêts d’Amérique du Sud, formant de véritables communautés. Aujourd’hui, la mémoire de ces parias revit à travers les carnavals et masquarades depuis le Pérou jusqu’aux Antilles. Charles Fréger a voyagé dans quatorze pays du continent pour photographier ces figures des traditions désormais populaires. Sans prétendre à une approche ethnographique, il a recours à un protocole privilégiant une prise de vue frontale, dans des décors naturels. Parfois, les visages sont dissimulés par des masques tandis que les peaux sont plus encore noircies, enduites comme en Martinique d’un mélange de sirop de canne et de charbon de bois. Une pratique qui fait allusion aux rites de certaines sociétés secrètes d’Afrique. Les costumes, composés de végétaux, de plumes, de tissus, témoignent quant à eux d’une exubérance destinée à marquer les esprits : ils peuvent effrayer, ils peuvent aussi marquer la volonté de se réapproprier une histoire. Le temps d’une parade ou d’une cérémonie, les descendants d’esclaves caricaturent parfois les maîtres, s’emparant des symboles de leur pouvoir (le fouet, l’épée, les fers). Le chatoiement des couleurs des parures semble tout autant un défi : les figures des fugitifs deviennent l’expression d’un pouvoir retrouvé. Le lieu choisi pour cette exposition n’est pas neutre. Situé non loin du Mémorial de l’Abolition de l’Esclavage, le Musée d’Histoire de Nantes possède une importante collection d’objets et de documents liés à la traite des noirs et à l’esclavage colonial. Six photographies de Fréger sont accrochées au sein de ce parcours cependant qu’une soixantaine d’autres sont présentées dans une salle unique (). Aucun cartel ne les accompagne et le visiteur (qui peut consulter cependant une fiche d’information) découvre cette mosaïque chatoyante avec pour seul allié son propre regard. L’oeuvre de Charles Fréger, déjà auteur d’une vingtaine d’ouvrages, suscite une curiosité croissante : on se souvient de ses séries consacrées aux militaires (série « Outremer ») », aux « Bretonnes » ou aux masques et traditions populaires du Japon (série « Yokainoshima »). Actuellement, outre à Nantes, il expose à Milan et en Nouvelle-Zélande. Sa curieuse caravane photographique est devenue une sorte de théâtre ambulant hanté par la mémoire, les frasques et la beauté du monde.