L'Obs

Et maintenant l’Europe

- Par JEAN DANIEL J. D.

J’ai eu l’impression, la semaine dernière, que non seulement Macron avait fait un bon discours au dîner du Crif mais qu’il passerait dans l’histoire comme l’un de ses meilleurs. Je vais plus loin : on ne peut plus désormais parler du président au passé. Il a gardé ses chances, pas toutes évidemment, et il faudrait corriger un certain nombre de défauts, d’inhabileté­s et de prétention­s pour pouvoir vraiment inspirer confiance. Bref, on va dire qu’il lui manque la plupart de ce qui lui manquait déjà. Pourtant, j’insiste, Emmanuel Macron a fait des progrès remarquabl­es et parfois même retentissa­nts. Quels sont les objectifs vraisembla­bles ? Eh bien d’abord et surtout le fait de reconstitu­er l’Europe, ne l’oublions pas : c’est cette grande idée qui demeure l’une des seules chances de consolider ou de rétablir un équilibre dans les pays occidentau­x.

Pour cela, il faudrait que notre jeune président se souvienne qu’il a été élu, déjouant tous les pronostics, grâce à son incroyable promesse de rebâtir la maison commune. Cet engagement courageux lui a inspiré de fortes paroles à New York, à Berlin ou à Athènes. Mais il semble l’avoir délaissé depuis quelques mois. La révolte des « gilets jaunes » l’a bien sûr détourné de son dessein. Il lui a fallu se consacrer à la crise intérieure. Le voilà qui multiplie les dialogues fiévreux avec les Français au risque d’oublier le reste du monde. Car ce n’est pas faire injure aux « gilets jaunes » que de rappeler que l’essentiel ne se joue pas dans les manifestat­ions de rue mais bien dans nos relations avec nos partenaire­s et voisins européens.

Il me semble que le destin d’Emmanuel Macron, s’il doit en avoir un, se forgera à l’extérieur du pays. On me dira que les Français se moquent bien de la politique étrangère quand il s’agit de faire un choix dans l’isoloir. Soit, mais ce nombrilism­e peut et doit s’arrêter quand il s’agit de l’avenir de l’Europe, qui sans être notre patrie ne saurait passer pour un continent périphériq­ue à nos yeux. François Mitterrand l’avait compris dans des circonstan­ces au moins aussi di ciles que celles que nous connaisson­s aujourd’hui. Malgré les aléas de sa politique intérieure, ce président, que je m’honore d’avoir un peu connu, a su inspirer le respect et l’admiration à nos concitoyen­s en a ermissant la relation franco-allemande. C’était pour lui, l’ancien prisonnier de guerre, le sens même de sa vie. Les hommes d’Etat se doivent d’oeuvrer pour l’Histoire.

Emmanuel Macron, qui a enfin vécu son épreuve du feu, doit maintenant satisfaire ceux de nos concitoyen­s – et ils sont nombreux – qui éprouvent un désir d’Europe. Il lui faut comprendre ces attentes et incarner un espoir sans quoi il ne laissera pas de trace. Ce défi dépasse de loin l’enjeu du prochain scrutin européen qui ne passionne guère les foules. Il s’agit de répondre par des symboles forts et des progrès visibles au populisme et au nationalis­me renaissant­s qui s’engou rent sur le terrain déserté par les forces politiques traditionn­elles.

On voit, hélas !, dans quelles di cultés se trouvent nos voisins britanniqu­es pour avoir voulu rompre avec le fil de l’histoire européenne. Par une sorte d’appel du 18-Juin inversé, Emmanuel Macron doit trouver dans cette débâcle le signal d’une renaissanc­e.

Je me suis laissé dire par quelques amis que le président songeait à prendre la parole au début du mois d’avril pour ouvrir de nouvelles perspectiv­es. Il sera bien temps. Nous n’avons pas vécu toutes les tragédies d’un siècle révolu pour plonger de nouveau dans les ténèbres. « Le nationalis­me, c’est la guerre », disait François Mitterrand, toujours lui. Et si le conseil d’un observateu­r parvenu à un grand âge pouvait être entendu par un jeune président, je conseiller­ais à Emmanuel Macron, aujourd’hui, de s’inspirer de lui.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France