L'Obs

De l’assiette au pré

- Par DOMINIQUE NORA D. N.

Emotion, vision, volonté réformatri­ce. Quand Emmanuel Macron s’adresse à une profession, son discours est en général bien reçu. C’est après que les ennuis commencent… Car le diable est dans les détails. Et les solutions sont rarement trouvées dans le « en même temps ». Entre la chèvre et le chou, le président se garde souvent de trancher.

C’était le cas lors de son discours fleuve aux agriculteu­rs, samedi 23 février, pour l’inaugurati­on du Salon de l’Agricultur­e, où il a passé plus de quatorze heures. Un record ! Jacques Chirac aimait y tâter le cul des vaches. Emmanuel Macron, lui, a surtout multiplié les contacts avec les humains, comme l’étreinte avec ce retraité en pleurs qui n’arrive pas à joindre les deux bouts.

Alors que la ferme éphémère de la porte de Versailles accueille jusqu’au 3 mars quatre mille animaux et trente mille profession­nels, le président a livré sa vision d’une politique agricole commune réinventée, au nom de « la souveraine­té alimentair­e, environnem­entale et industriel­le ». La PAC de demain doit selon lui tenir « trois promesses » : « protection des agriculteu­rs et des consommate­urs »; « transforma­tion du modèle vers plus de valeurs et d’écologie »; « accélérati­on de la recherche et renouvelle­ment des génération­s ».

Des propos où chacun peut trouver à défendre son bout de gras. Mais concrèteme­nt, on fait comment? Car ces objectifs sont souvent antinomiqu­es. Trois exemples. Le glyphosate et autres herbicides chimiques ? Pour le bien du consommate­ur, ils devraient disparaîtr­e. Pour la plupart des exploitant­s agricoles, enfermés dans une agricultur­e qui empoisonne les sols, il est risqué – à court terme – de s’en passer ou de les remplacer.

La souveraine­té alimentair­e ? Pour diminuer les importatio­ns et produire à bas coût, il faut augmenter la productivi­té, donc promouvoir un modèle plus intensif. Mais la société rejette, à juste titre, les exploitati­ons-usines – ferme de mille vaches laitières dans la Somme, projet de porcherie de deux mille bêtes dans le Doubs – à rebours du respect de l’environnem­ent et de l’animal.

L’agricultur­e biologique? La France fait figure de lanterne rouge, en 18e position européenne avec seulement 6% de sa surface agricole utile en bio, loin derrière l’Autriche, la Suède, l’Estonie… ou même l’Italie et l’Espagne. Certes, ce marché a progressé de 17% en 2017. Un sursaut. Mais du coup, la grande distributi­on s’y engouffre, avec ses méthodes de négociatio­n musclées. D’où une guerre des prix qui ne profite pas toujours aux produits français.

Difficile, dans ces conditions, d’améliorer le sort d’une profession marquée par de grandes inégalités, où un tiers des agriculteu­rs gagnent moins de 350 euros par mois, où les retraites sont souvent au-dessous du seuil de pauvreté et où le taux de suicide reste terrifiant (un tous les deux jours, soit de 20% à 30% de plus que la moyenne de la population !). Pas attirant pour les jeunes, alors qu’un agriculteu­r européen sur deux partira à la retraite d’ici à 2022.

Nos paysans sont piégés dans un modèle défendu à la fois par le syndicat dominant, les lobbys agroalimen­taires et la grande distributi­on, mais qui n’est bon ni pour eux ni pour la planète. L’indispensa­ble tournant vers une agricultur­e plus raisonnée, durable et éthique viendra sans doute moins des politiques… que des consommate­urs.

Essor des circuits courts, engouement pour une alimentati­on moins riche en protéines animales et déjà 6,7 millions d’utilisateu­rs de l’appli Yuka, qui permet de savoir si ce que l’on achète est bon pour la santé… Les Français qui n’ont pas de problème de fin de mois font de plus en plus attention à ce qu’ils mettent dans leur assiette. Le voilà, le premier moteur de changement.

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