Adultère et châtiment
En suivant deux hommes, l’un à Amsterdam et l’autre à Kaboul, le prix Goncourt 2008 pose la question de la trahison
On l’a un peu oublié, mais six mois avant le 11 septembre 2001, un autre attentat a eu lieu. « 11 mars 2001 : les talibans détruisent les deux Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan. » Le roman d’Atiq Rahimi est situé le jour de cette « défaite de l’Histoire ». C’est pour mieux en raconter d’autres, dans une narration alternée entre l’Europe et Kaboul. D’un côté, un Afghan exilé en France quitte sa femme pour en rejoindre une autre à Amsterdam, et roule sous la pluie en écoutant Dylan chanter « One more cup of coffee for the road ». De l’autre, un puceau chargé de veiller sur l’honneur de sa belle-soeur découvre à quel point il la désire, et souffre des pulsions contradictoires qui le déchirent. D’un côté, l’exilé se dit que l’adultère est « une révolte intime contre le régime totalitaire du monothéisme conjugal », qui le condamne à une nouvelle clandestinité, d’une banalité tragique. De l’autre, c’est « un crime aussi impie que le blasphème », qui peut conduire à se faire lapider dans le stade de Kaboul. Il y a ici parfois des bavardages un peu ésotériques, mais l’auteur franco-afghan de « Syngué sabour » sait glisser de nombreuses questions en évitant d’y répondre, le plus sûr moyen de les laisser faire leur chemin hors de son livre. Par exemple sur l’attentat du 11 mars 2001, puisque « les êtres humains peuvent se reproduire, pas les oeuvres d’art ». Ou encore sur la difficulté qu’il y a à dire ses sentiments quand on « vient d’une culture dans laquelle on ne parle que pour cacher sa pensée », et à se projeter dans l’avenir quand, dans sa langue maternelle, « le futur n’a pas sa propre forme, comme en français ». Comment sortir de l’impression de déjà-vu ? Devenir soi en affrontant la culpabilité de trahir les siens ? A l’arrivée, une seule morale : « L’amour n’est pas un péché. » Ce que dit autrement cette citation de La Roche fou cauldre transcrite approximativement sur le mur d’un W.-C. d’ Amsterdam :« La violence qu’on se fait à soi-même pour demeurer fidèle à ceux qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité. »