L’agroécologie au chevet de la Terre
Cet ensemble de pratiques agricoles respectueuses de la biodiversité s’impose aujourd’hui face au modèle agro-industriel conventionnel
L’arbre ne cache plus la forêt du productivisme, il n’est plus un détail ni une gêne, mais un élément central de l’agriculture. Emmanuel Torquebiau, spécialiste de l’agroforesterie tropicale au Centre de Coopération internationale en Recherche agronomique pour le Développement (Cirad), vante les mérites de cette pratique qui tire parti des multiples avantages des arbres et des haies: « Protéger les sols de l’érosion, améliorer leur fertilité et les aider à mieux stocker l’eau. Fournir ombre et nourriture au bétail. Augmenter la biodiversité en abritant oiseaux, chauves-souris, pollinisateurs et autres insectes. Enfin, constituer des compléments de production, par leurs fruits ou par le bois d’oeuvre et de chauffage. » Le chercheur rappelle que cette méthode traditionnelle, qui est toujours pratiquée dans les pays tropicaux, était aussi très répandue en France jusqu’au début du xxe siècle. Elle y est réapparue voici une dizaine d’années: « Parce qu’elle atténue les changements climatiques en diminuant l’effet de serre par la photosynthèse des arbres. Et parce que les parcelles agroforestières s’adaptent mieux aux aléas de la météo. » Parmi les exemples de bonnes complémentarités sous nos latitudes, l’association du blé, du colza ou de l’orge avec les noyers. «Cela donne d’excellents rendements, s’enthousiasme Christian Dupraz, directeur de recherche en agroforesterie à l’Institut national de la Recherche agronomique (Inra). Idem pour le sylvopastoralisme, avec des prairies ombragées où l’herbe n’est pas grillée par le soleil et où les vaches produisent, chaque jour, un litre de lait en plus. » Pour Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie (Afaf), il n’y a pas d’agriculture durable sans arbres: «Ce sont les colonnes vertébrales de l’agronomie et de l’économie des fermes d’avenir. Par leurs racines, ils donnent de la porosité à la terre, donc inutile de labourer. Les sols nus ne devraient plus exister!»
D’ailleurs, il n’y en a plus à la ferme normande bio du Bec Hellouin, où Charles Hervé-Gruyer a planté quatre forêts-jardins sur plusieurs niveaux: «Celui des arbres fruitiers, celui des arbrisseaux donnant framboises, cassis ou autres baies, et le sol avec des plantes aromatiques. Sans arrosage, ni engrais ni produits chimiques et avec peu de travail, 200 mètres carrés donnent 5 800 euros de production en un an. » Un rapport scientifique sur le sujet sera bientôt publié, car cette ferme pionnière intéresse les chercheurs. Outre l’agroforesterie, elle applique les principes de la permaculture, une méthode théorisée dans les années 1970 qui s’inspire de la nature pour l’amener à réguler elle-même l’écosystème cultivé. « Nous la prenons en modèle et nous l’adaptons à une démarche productive respectueuse de l’environnement.» Charles Hervé-Gruyer et son épouse ont compilé leur savoir-faire et leur expérience dans un ouvrage destiné aux professionnels et aux amateurs : « Vivre avec la terre, le manuel des jardiniers maraîchers» (à paraître en mai chez Actes Sud). Désormais, «la permaculture devient un phénomène de société », se félicite le couple.