L'Obs

BENALLA LA BOMBE À FRAGMENTAT­ION

Pour le député du Val-d’Oise Aurélien Taché, en charge des idées à La République en Marche, on ne combattra pas la judéophobi­e en désignant comme boucs émissaires les musulmans des quartiers populaires

- Propos recueillis par alexandre le drollec et maël Thierry Photo Stéphane Lagoutte

Les actes antisémite­s en hausse de 74% en 2018, Alain Finkielkra­ut insulté, comment expliquez-vous ce climat de haine ? Les mêmes qui disaient que les « gilets jaunes », c’était la France périphériq­ue disent soudain « ah, ce sont les banlieues et les musulmans » qui sont responsabl­es de l’antisémiti­sme au sein de ce mouvement. Ça m’a frappé en entendant Eric Ciotti, Michel Onfray ou Eric Zemmour. Il y a un retour glaçant de l’antisémiti­sme. C’est le thermomètr­e de la haine dans une société. Mais on ne combat pas cette haine en faisant des musulmans des quartiers populaires un autre bouc émissaire. C’est trop commode, cela permet aux élites de ne pas trop s’interroger sur leur part de responsabi­lité… Il n’existe pas, selon vous, cet antisémiti­sme des quartiers ? Il y a un antisémiti­sme en banlieue. Mais il ne prend pas sa source dans l’immigratio­n ou dans les versets du Coran, comme j’entends Manuel Valls le dire. Il la prend dans l’ignorance et le sentiment anti-élites. Avec ce préjugé selon lequel « les juifs sont puissants, je suis faible, ils sont dedans, je suis dehors ». August Bebel parlait du « socialisme des imbéciles » à propos de la judéophobi­e du camp progressis­te ; là on passe au « populisme des imbéciles », qui explose avec le complotism­e et les réseaux sociaux. Après, il peut être manipulé par de vrais idéologues, Alain Soral, etc. Si l’on ne voit pas que c’est la colère populaire et l’ignorance qui rendent perméable à ces idées, on passe à côté du sujet. Devant le Conseil représenta­tif des Institutio­ns juives de France, le président de la République a évoqué « un antisémiti­sme fondé sur l’islamisme radical » qui « gangrène certains de nos quartiers »… Il y a des quartiers où l’islam politique est en train de prendre le contrôle, il faut l’éradiquer. Il y a aussi des classes où l’on ne peut pas enseigner la Shoah, c’est inadmissib­le. Mais il n’y a pas cent cinquante Molenbeek en France. Si on veut voir disparaîtr­e l’antisémiti­sme dans les quartiers, on devrait faire ce que conseille Benjamin Stora depuis des décennies : enseignons à ces jeunes, dont l’histoire trouve ses racines au Maghreb, des récits de mémoire partagée entre juifs et musulmans. Ce n’est pas non plus dans la France périphériq­ue mais dans les quartiers et les grandes villes que se concentre la pauvreté. Notre priorité doit être de l’y faire reculer et d’investir dans les établissem­ents scolaires qui y sont sous-dotés, nous avons commencé à le faire en limitant à douze élèves les classes de CP. La gauche n’en a pas fait assez sur ces sujets ? Sa responsabi­lité est énorme. S’il y a bien un échec retentissa­nt de cette gauche, c’est d’avoir agité des slogans antiracist­es ou paternalis­tes qui n’ont mené nulle part. La Marche des Beurs, c’était en 1983 et elle n’a pas abouti à l’élection de députés issus de la diversité, mais à celle de Julien Dray ! Au PS, on disait à ces jeunes : « Va t’asseoir au fond de la salle et on verra s’il reste une place sur la liste. » Il ne faut pas s’étonner que les banlieues aient eu le sentiment de se faire cocufier par cette

gauche-là. Il y a eu un abandon coupable doublé d’une corruption idéologiqu­e : on explique désormais que ce n’est pas l’Etat qui a abandonné ces quartiers, mais ces quartiers qui « feraient sécession » parce qu’ils seraient tous peuplés de musulmans radicalisé­s. Manuel Valls explique dans « le Point » que « la gauche est en crise faute d’avoir apporté une réponse à la crise identitair­e ». Il faut traiter la question identitair­e. Mais avec un logiciel progressis­te et libéral, pas conservate­ur et réactionna­ire reprenant les arguments du camp d’en face. Marine Le Pen avait déjà fait passer l’idée que les immigrés avaient plus de droits que les autres. C’est faux, la préférence nationale existe en France : vous ne pouvez toucher le RSA qu’après cinq ans sur le territoire. Après, on a dit que la France périphériq­ue avait été délaissée alors qu’on en aurait trop fait pour les banlieues. Maintenant, on s’en prend à la religion musulmane. Les tentations communauta­ristes se nourrissen­t de ce républican­isme guerrier. J’irrite ceux qui ont une sensibilit­é néo-républicai­ne y compris à LREM. Mais si je suis souvent le seul à m’exprimer sur ce terrain, je reçois beaucoup d’encouragem­ents. Quand il s’agit de rejeter l’amendement d’Eric Ciotti visant à interdire aux mamans voilées les sorties scolaires, il n’y a pas eu l’ombre d’une hésitation pour la très grande majorité d’entre nous. Moi, j’ai des doutes sur le modèle assimilati­onniste qu’on a essayé d’appliquer en France. Il y a un chemin entre le multicultu­ralisme qui peut conduire à des formes de communauta­risme et l’assimilati­onnisme qui n’est que la négation de l’autre. L’assimilati­on républicai­ne, c’est souvent « mettez votre religion dans votre poche, sinon vous n’êtes pas un bon Français » ou « laissez votre culture de côté ». On peut être dans une forme de cosmopolit­isme. Comme l’a dit le président, la culture française est un fleuve aux 10 000 confluents. J’ai été élevé en écoutant Renaud, en mangeant de l’entrecôte, mais j’aime aussi le rap et les kebabs. Le drapeau renvoie au régiment, au soldat qui meurt pour sa patrie. C’est noble. Mais est-ce bien le rôle de l’école de se transforme­r en caserne ? A Cergy, j’ai organisé des assises avec des jeunes : ils préfèrent voir des députés leur parler que des drapeaux. Ces gamins doivent savoir qu’eux aussi peuvent être des élus de la République. Je viens d’un milieu populaire, pour moi non plus ce n’était pas gagné. LREM ne doit pas reproduire les erreurs du passé. Il nous faut des listes vraiment inclusives aux prochaines municipale­s. Aujourd’hui, il n’y a pas un Noir ou un Arabe dans les maires des cinquante plus grosses villes. Je propose aussi qu’on fasse confiance à la banlieue. Des conseils citoyens sans réel pouvoir existent dans les mille trois cents quartiers prioritair­es de la politique de la ville. Qu’on leur confie l’utilisatio­n des crédits du ministère chargé de la Ville plutôt que de les laisser à des hauts fonctionna­ires qui ne connaissen­t pas le terrain. La banlieue a presque 60 ans, arrêtons de la prendre pour une enfant. Tout le monde n’est pas sur cette ligne à LREM… Quel modèle d’intégratio­n défendez-vous ? Dans « Valeurs actuelles », Marlène Schiappa, qui est en charge avec vous des idées à LREM, exprime son opposition au modèle multicultu­rel anglo-saxon... Le drapeau bleu-blanc-rouge dans chaque classe, c’est une bonne idée ? On a parfois l’impression d’un rendez-vous raté entre Emmanuel Macron et la banlieue… Que proposez-vous ?

 ??  ?? Aurélien Taché, 34 ans, a milité à l’Unef puis au PS. Il a été conseiller d’Emmanuelle Cosse au ministère du Logement, avant de rejoindre En Marche !
Aurélien Taché, 34 ans, a milité à l’Unef puis au PS. Il a été conseiller d’Emmanuelle Cosse au ministère du Logement, avant de rejoindre En Marche !
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