Politique
L’introuvable parti écologique
Le 6 avril 1974, sur le tarmac d’Orly, un homme en djellaba rouge est accueilli dans la nuit par un petit commando. Parmi eux, le militant pacifiste Georges Krassovsky et un certain Brice Lalonde, ex-étudiant syndicaliste qui travaille alors au « Sauvage », journal écolo que vient de lancer « le Nouvel Observateur ». Leur mission : convaincre René Dumont, un agronome mondialement reconnu, de se présenter à la présidentielle. Pompidou vient de mourir, l’élection a lieu dans à peine un mois. Dumont demande la nuit pour réfléchir puis se lance. Passé par le PSU, marqué par le rapport que le club de Rome publie en 1972 sur les dangers de la croissance dans un « monde fini », il sera le premier écologiste candidat à l’élection présidentielle. Une longue aventure commence, à laquelle le journaliste Arthur Nazaret consacre un livre riche et éclairant, « Une histoire de l’écologie politique » (1). Son premier mérite est d’exister : jusqu’ici, seuls des militants écolos s’étaient lancés dans ce travail. Surtout, l’ouvrage, nourri par les témoignages des acteurs et les archives retrouvées dans la cave du siège des Verts, est extrêmement documenté.
Quarante-cinq ans après, où en est-elle, cette écologie? Elle a gagné dans les rues, où des milliers de citoyens marchent désormais pour le climat, et dans les têtes où les préoccupations environnementales comptent désormais parmi les toutes premières. Mais pas dans les urnes : l’écologie reste un petit parti. Tout petit même au regard de ce qu’il pèse dans la société. C’est à la fois une défaite politique (pour l’instant) et une victoire idéologique.
Car n’avaient-ils pas raison avant tout le monde, ces journalistes, ces penseurs, ces militants de la première heure? Ceux qui ont alerté sur les dangers du nucléaire avant Tchernobyl et Fukushima? Ceux qui anticipaient la raréfaction des ressources fossiles? Des effets de la pollution? En 1984, année de la création des Verts, quatre textes viennent poser les bases idéologiques. Inspirés des philosophes Cornelius Castoriadis, de Jacques Ellul, du sociologue Alain Touraine ou du penseur Ivan Illich, ils pointent le productivisme comme la racine de tous les maux. Sa faute ? Promouvoir une croissance infinie sur une planète aux ressources limitées, et par là ravager l’écosystème dont l’homme fait partie. Arthur Nazaret relate aussi la tentation radicale en germe, exprimée par exemple par le professeur agrégé d’histoire géo Robert Fischer : « A la crise que nous vivons, on peut imaginer des remèdes réformistes. Ils auront autant d’effet qu’un couvercle sur une marmite en ébullition. »
Très tôt, rappelle aussi ce livre, le socialisme français s’intéresse à cette écologie naissante, même si elle a alors un faible potentiel électoral. Tel François Mitterrand qui dans une lettre inédite fait les yeux doux à René Dumont. Tel Michel Rocard ensuite, qui, interrogé avant sa mort par l’auteur, confie avoir utilisé des fonds spéciaux pour financer une mission du commandant Cousteau aux EtatsUnis, afin de convaincre les sénateurs américains de préserver l’Antarctique de l’exploitation minière. Ou plus tard encore, tel François Hollande bouclant à son domicile un accord avec la verte Cécile Duflot avant la présidentielle.
Et pourtant, malgré la progression de leurs idées dans les têtes, malgré quelques percées électorales (comme celle d’Europe Ecologie en 2009), malgré les figures populaires ou connues qui l’incarnent ou l’ont incarné (de Daniel Cohn-Bendit à Nicolas Hulot), les écologistes n’ont pas construit une mouvance électorale durable. A l’heure de la crise de la social-démocratie, elle n’apparaît pas comme une force structurée, susceptible de lui succéder. La faute à la culture protestataire et libertaire de ces militants écologistes, peu adaptée à l’exercice du pouvoir. Et aux petits calculs de la maison verte, eux aussi racontés avec précision dans ce livre. « Une histoire de l’écologie politique », par Arthur Nazaret, éd. La Tengo.