“Cette initiative me semble très dangereuse”
Emmanuel Macron a décidé d’élargir la définition de l’antisémitisme en y intégrant le concept d’antisionisme comme l’une de ses formes. Qu’en pensez-vous? Cette initiative me semble très dangereuse. Elle entretient la confusion sur des notions qu’il faudrait au contraire démêler. L’antisémitisme, c’est la haine des juifs. L’antisionisme, c’est la critique de la politique d’Israël à l’encontre des Palestiniens. Pour des raisons de communication, on en vient à participer à un gloubi-boulga conceptuel. Un certain antisionisme remet en cause l’existence même d’Israël… Pour certains, c’est le cas, mais ne généralisons pas. Le sionisme d’aujourd’hui en Israël n’est pas celui des pionniers. Il s’est confondu avec un sionisme d’Etat , à cause de la politique expansionniste du très droitier Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Critiquer la politique d’Israël vis-à-vis du peuple palestinien, ce n’est pas de l’antisémitisme. Sinon, nombre d’intellectuels israéliens de gauche seraient traînés devant les tribunaux. Surtout, il faut bien distinguer les juifs et les Israéliens. Cette confusion est fréquemment entretenue surtout depuis la seconde Intifada. Certains ne masquent-ils pas leur antisémitisme derrière des propos ultra-virulents à l’encontre de la politique israélienne? Que certains antisémites utilisent l’antisionisme pour se couvrir, c’est évident. Mais justement : il serait contre-productif de brouiller davantage ces notions. En 2017, Emmanuel Macron a participé aussi de cette confusion quand il a décrété : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. » La loi actuelle est équilibrée. Nous disposons de tous les outils législatifs nécessaires pour lutter contre l’antisémitisme. Le gouvernement instrumentalise cette question, en particulier contre les « gilets jaunes ». Je voudrais raconter un épisode personnel : récemment, des « gilets jaunes » sont intervenus pour engueuler trois jeunes qui venaient de faire une quenelle sous mon nez. Et les ont chassés. Alors que faire pour lutter contre l’antisémitisme? Dans les moments de crise, on cherche toujours des boucs émissaires. C’est récurrent dans l’histoire de nos sociétés. Malheureusement, nous y sommes à nouveau, avec la progression du racisme, de l’antisémitisme et de l’homophobie. Aucun de ces fléaux ne sera traité par une nouvelle loi. Il faut mener, en amont, un travail d’éducation. D’autant plus que la mémoire de la Shoah s’estompe avec la disparition des derniers survivants. Rappeler ce que fut la Shoah, ce que fut et ce qu’est toujours l’antisémitisme. Rappeler aussi ce que la République doit à ses citoyens de confession juive et leur contribution, à leur niveau, à la civilisation humaine.