L'Obs

LE COUPLE QUI MENACE L’EUROPE

Fascinés l’un par l’autre, Marine Le Pen et Matteo Salvini se rencontren­t souvent et s’entraident. Mais parviendro­nt-ils, au Parlement de Strasbourg, à créer, après les européenne­s, le groupe populiste dont ils rêvent ?

- Par PAUL LAUBACHER (Avec Sarah Halifa-Legrand et Marcelle Padovani en Italie)

Alors là, je mets ma main sur le billot (sic) : avec Matteo Salvini, on siégera ensemble au Parlement européen. » Marine Le Pen vapote sereinemen­t, ce jeudi 18 janvier, au siège du parti. La présidente du Rassemblem­ent national (RN, ex-Front national) est sûre d’elle. Aux journalist­es qui s’interrogen­t sur les ambitions du ministre de l’Intérieur italien qui pourraient diverger des siennes, Marine Le Pen rit. Entre Salvini et elle, c’est du sérieux! Et les élections européenne­s seront le sacre de ce duo populiste qui prétend aujourd’hui détruire l’Union européenne de l’intérieur.

Elle ne parle pas italien. Lui ne pipe pas un mot de français. Qu’importe, ils s’adorent. Dès qu’ils le peuvent, ils s’envoient des compliment­s par tweets et interviews interposés. Ils se défendent mutuelleme­nt contre la justice qui enquête sur leurs partis, contre Emmanuel Macron ou contre l’Union européenne. Ils se tiennent par la main quand ils montent sur scène. Ils se prennent dans les bras dès qu’ils font un meeting ensemble. Pour communique­r par SMS, ils utilisent avant tout… des smileys. En privé, Marine Le Pen assure : « La Lega [la Ligue, NDLR] est un parti frère du RN. »

Au départ, c’est surtout une histoire de fascinatio­n, et elle commence en sens unique. Salvini, complèteme­nt énamouré, demande à son idole française un selfie, en 2014, dans les travées du Parlement européen. A l’époque, le chef de la Ligue ne pèse rien. Et ils ne sont pas forcément faits pour s’entendre : historique­ment, le FN avait plutôt des relations avec le Mouvement social italien (MSI), parti néofascist­e – avant qu’il ne disparaiss­e en 1995 – avec lequel il partageait le même logo, la flamme. Certes FN et Ligue combattent l’immigratio­n et l’Europe mais elle est jacobine et

laïque quand lui est régionalis­te et catholique. Salvini arrive à Strasbourg avec 4% des suffrages dans la poche, mais surtout un téléphone portable pour immortalis­er la rencontre avec la présidente du FN qu’il ne connaît pas vraiment. Marine Le Pen, elle, vient de remporter les élections européenne­s. Et ce n’est pas fini. En novembreed­e la même année, il est sur scène pour le XV congrès du Front national avec un tee-shirt qui plaît beaucoup : « Basta euro ! » C’était l’époque où les deux leaders voulaient sortir de la monnaie unique. « Voter pour moi, c’est voter pour elle », peut-on lire sur les affiches de la Ligue avec la tête de Marine Le Pen dessus. En avril 2017, il la suit, smartphone à la main, en direct sur Facebook. « Bonsoir Marine, we are live with my Facebook fans ! » (« Nous sommes en direct avec mes fans sur Facebook »). Sourire de la fille de Jean-Marie Le Pen : « Salut les Italiens, on vous aime, on vous embrasse ! » Et la patronne du RN d’envoyer un baiser.

« Une réelle affection s’est développée entre eux », résume un élu RN. « Elle lui apportait les tracts et les affiches du Front national pour qu’il s’en inspire », raconte un autre. Les proches de la patronne du parti d’extrême droite racontent d’une même voix comment Marine Le Pen a pris Matteo Salvini sous son aile et l’a aidé à devenir ce qu’il est aujourd’hui. « Elle lui a dit d’abandonner la ligne politique originelle de la Lega, l’indépendan­tisme régional, et de transforme­r son parti en mouvement national. »

Février 2019. Les rôles sont inversés. Marine Le Pen a durement échoué à la présidenti­elle. Matteo Salvini est arrivé au pouvoir. La présidente du RN cherche maintenant à capter la lumière de son ancien protégé. Un meeting commun, à Milan, devait être organisé début février. Las, la date se fait toujours attendre. « On essaie de caler nos agendas, mais il y en a un qui est au gouverneme­nt. Ce n’est pas simple », plaide-t-on dans l’entourage de Marine Le Pen. Les cadres du RN observent, des étoiles dans les yeux, la montée en puissance de Matteo Salvini en Italie. « Il faut le voir en meeting, c’est incroyable », confie un membre de la liste RN aux européenne­s. « Avec Salvini au pouvoir, nous pouvons dire maintenant en France : regardez ce qu’il fait, on a les mêmes idées, ça marche ! » La campagne des européenne­s à peine commencée, on voit déjà fleurir sur les murs des villes de France les affiches de Marine Le Pen avec Matteo Salvini, et le slogan « Partout en Europe, nos idées arrivent au pouvoir ».

“ON SERA VINGT-SEPT”

Le plan de ce couple de l’extrême contre l’Union européenne est simple : son remplaceme­nt par ce qu’ils appellent l’Europe des nations et libertés. Le duo s’est fixé comme objectif rien de moins que la constituti­on d’un grand groupe populiste et souveraini­ste au Parlement européen, quand aujourd’hui, il en existe trois. Marine Le Pen et Matteo Salvini espèrent attirer dans leurs filets les Polonais du PiS, au pouvoir. Matteo Salvini était bien allé les voir en janvier pour plaider la cause populiste. Cela s’était terminé par une conférence de presse séparée. Surtout, ils rêvent de décrocher l’ultraconse­rvateur Viktor Orbán, Premier ministre hongrois, dont le parti est aujourd’hui membre du PPE, le parti de la droite européenne où siègent les Républicai­ns de Wauquiez. Un futur eurodéputé RN a récemment voyagé en Hongrie et rencontré des « amis », députés du Fidesz, le parti du maître de la Hongrie.

« Notre objectif, c’est de gouverner avec Marine Le Pen », fanfaronne Matteo Salvini, en campagne dans les Abruzzes italiennes. « On est en train de tisser des liens avec des tas de peuples et de pays », se vante le patron de la Lega. « Avec ceux qui sont au pouvoir en Autriche, avec les Finlandais, les Polonais, les Néerlandai­s, les Belges, les Allemands. Et on travaille sur les pays Baltes, l’Espagne, la Hongrie. » Arriveront-ils à réunir au moins sept pays pour constituer leur groupe ? Il répond, bravache : « On sera vingt-sept. » Et d’ajouter, en riant : « On aura peut-être juste un problème avec Malte. »

Marine Le Pen est plus pragmatiqu­e, tant elle connaît les difficulté­s à monter un groupe avec les euroscepti­ques de tout poil. Et si la constituti­on de la grande internatio­nale populiste échouait? « Ce qui importe, c’est qu’on vote tous dans le même sens », veut croire la présidente du RN. Elle travaille néanmoins à l’élaboratio­n d’une charte qui pourrait réunir le plus de monde possible.

La solidité du duo sera mise à l’épreuve après le 26 mai. « Le glissement progressif de Salvini vers la droite traditionn­elle va le rendre compatible avec un PPE (Parti populaire européen) qui se rapproche lui-même de l’extrême droite », décrypte un commissair­e européen. Marine Le Pen sera-t-elle alors du même côté de la frontière que son alter ego italien ? La patronne du RN n’aurait peut-être pas dû mettre sa main sur le billot.

“ON EST EN TRAIN DE TISSER DES LIENS AVEC DES TAS DE PEUPLES ET DE PAYS.” MATTEO SALVINI

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 ??  ?? Matteo Salvini et Marine Le Pen lors d’un meeting des représenta­nts des partis nationalis­tes et populistes d’extrême droite, en janvier 2016, à Milan.
Matteo Salvini et Marine Le Pen lors d’un meeting des représenta­nts des partis nationalis­tes et populistes d’extrême droite, en janvier 2016, à Milan.

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