LE “TALIBAN” DE SALVINI
Le compagnon de Marion Maréchal, Vincenzo Sofo, est l’une des chevilles ouvrières de la mutation idéologique de la Lega
Les Français ont découvert Vincenzo Sofo d’une drôle de façon : grâce aux paparazzis. Les photos sont sorties dans un tabloïd italien, un jour de juillet 2018, dans la torpeur de l’été. On le voit torse nu, sur une plage de la Méditerranée. A ses côtés, une figure connue de la politique française : Marion Maréchal, l’ancienne étoile montante du Front national. Des deux côtés des Alpes, la presse s’emballe pour le couple transfrontalier. Ils sont jeunes, beaux, discrets. Surtout, ils ont les mêmes idées.
Si Marion Maréchal est une égérie conservatrice de la droite et de l’extrême droite française, Vincenzo Sofo est l’une des chevilles ouvrières de la refondation de la Lega, le parti de Matteo Salvini. A 32 ans, il est encore inconnu du grand public, mais on le présente déjà comme un jeune théoricien qui a oeuvré dans l’ombre pour que la Lega devienne ce qu’elle est aujourd’hui : le parti qui fait trembler Bruxelles et qui pourrait avaler tout cru le reste de la droite italienne. L’aventure a démarré quand il lance, avec d’autres, un think tank très à droite, baptisé à la sulfateuse « Il Talebano ». Traduction : le taliban. Une provocation à la mesure de leur ambition. L’homme intrigue. De ce côté-ci des Alpes, on le couvre de compliments. « Vincenzo Sofo, un homme brillant », explique un cadre du RN. « C’est un vrai intellectuel », assure Jacques de Guillebon, directeur de « l’Incorrect », le journal fondé par des proches de Marion Maréchal. « Ah tiens donc, vous voulez faire un portrait de Vincenzo Sofo? », s’étonne Marion Maréchal. La directrice de l’Issep, son école conservatrice à Lyon, devient alors plus sérieuse : « C’est en partie grâce à lui et son groupe de réflexion que la Lega s’est transformée, quittant le régionalisme et l’indépendantisme pour devenir un mouvement national. »
Vincenzo Sofo est, lui, heureux. « J’ai enfin la droite que je voulais ! », s’exclame-t-il, au-dessus de son steak tartare, le plat français qu’il préfère. Il porte élégamment son costume moderne. Ses cheveux noirs sont bien coiffés, la mèche soigneusement tournée vers la gauche. Sa barbe, légère, et sa moustache le vieillissent prématurément. « Je suis un Milanais de sang calabrais, explique-t-il. Ma mère, pour que je puisse avoir un autre avenir, a quitté la Calabre pour aller à Milan afin que je naisse là-bas, dans le Nord. »
La collaboration entre le pragmatique Salvini et le jeune théoricien Il Talebano a commencé « naturellement ». « J’étais militant à Milan au moment où Matteo dirigeait la Lega dans la ville, raconte-t-il. On avait observé que Salvini voulait comme nous changer le parti. Lui-même nous avait remarqués. On lui a proposé nos services, et notamment de l’aider à rencontrer des personnalités de droite et de mener une réflexion culturelle. » En 2011, la Lega ne pèse plus rien sur l’échiquier politique. Il reste un espoir : faire sortir le parti du régionalisme et aller chercher les électeurs déçus de Berlusconi. Marine Le Pen donnera les mêmes conseils au patron de la Lega. Et c’est ce qu’il fera.
La ligne politique des « talibans » est clairement conservatrice, souverainiste, antisystème, croisée d’une forte critique de l’ultralibéralisme. La bande s’oppose au « progrès économique et social des vingt dernières années », à la mondialisation. Elle veut défendre la tradition, et « placer la famille au centre de la société ». Les textes du think tank percutent les vétérans de la Lega. Le jeune homme fait un beau coup quand il invite l’essayiste et journaliste français de la « nouvelle droite » Alain de Benoist sur scène à côté de Matteo Salvini en 2013. C’était juste avant que ce dernier ne s’empare de la Lega.