L'Obs

Réactions de Yasmina Khadra, Boualem Sansal...

Yasmina Khadra, ex-officier de l’armée algérienne, est un écrivain renommé, auteur notamment de « l’Attentat » et de « Ce que le jour doit à la nuit ». Il a été traduit en 42 langues.

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Ce mouvement n’embrase pas l’Algérie, il l’illumine. Il était prévisible, souhaité, mais la longue convalesce­nce d’un peuple qui a subi le terrorisme deux décennies durant faisait craindre la démission. Voir les Algériens prendre conscience des dangers qui menacent leur nation me rassure. Il était temps ! On ne voyait plus le bout du tunnel. Les Algériens réalisent combien ils ont été complices, et non victimes du système, en laissant pourrir les choses. Ils réalisent surtout que le pays leur échappait, et avec lui le devenir de leurs enfants. Leur sursaut d’indignatio­n s’inscrit dans la volonté inflexible – je l’espère – de sauver ce qu’il reste à sauver. Les apparatchi­ks vont tout faire pour éviter de rendre compte de leurs méfaits devant les tribunaux et pour préserver leurs fortunes blasphémat­oires. Ils vont se livrer à des surenchère­s ensuite, à des intimidati­ons avant d’envisager de provoquer des a rontements. Les Algériens le savent. Il va leur falloir déterminat­ion et sangfroid. S’agissant d’un mouvement populaire « anonyme », certains courants opportunis­tes vont chercher à le récupérer, en particulie­r les islamistes. Mais ils n’ont pas beaucoup de chances car ils se sont discrédité­s pendant la décennie noire. Bien que les islamistes opèrent au sein même de l’appareil d’Etat et dans des secteurs névralgiqu­es comme l’administra­tion et les médias, les Algériens savent qu’ils sont l’épée de Damoclès que le régime s’est o erte pour faire peur à la nation. En ce qui concerne la hiérarchie militaire, même si le chef d’état-major et son entourage immédiat sont favorables au maintien du régime, le reste de l’armée, lui, ne s’opposera pas à la volonté populaire. Une grande majorité des o ciers, des sous-o ciers et des hommes de troupe n’obéiront pas aux ordres contre-nature et pourraient même se joindre à la mobilisati­on si on leur demande de tirer sur la foule. Nous sommes en train de vivre une formidable période d’incubation. Le mal sera porté à son paroxysme. Il est di cile de dire si nous allons nous en sortir conjurés de l’ensemble de nos vieux démons ou totalement laminés. L’heure de vérité a sonné, et personne n’échappe à la sienne. Bien sûr, le combat de la dignité sera miné de diversions, de trahisons et de basses manoeuvres. Depuis plus de vingt ans, le régime défigure l’image de ses opposants et corrompt les conscience­s et les institutio­ns, formate les esprits et fait croire qu’il n’existe aucune personne susceptibl­e de lui tenir tête. La faille de la mobilisati­on réside à cet endroit. Où trouver la bonne personne pour incarner les espoirs de la nation ? Le manque de discerneme­nt chez une grande partie du peuple, conjugué à la méfiance héritée des désillusio­ns et à la promptitud­e à contester toute figure qui se propose de mener la marche populaire, risque de retarder la prise de conscience générale. C’est désormais aux opposants sincères de convaincre et d’agir au plus vite car le temps est le meilleur atout du régime.

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