L'Obs

Deux peuples, une révolte

- Par NATACHA TATU N. T.

Aquelques semaines d’écart et à 5 000 kilomètres de distance, Vénézuélie­ns et Algériens ont donné au monde une leçon de courage. Issus de toutes les classes sociales, de toutes les religions, ils se sont levés en un même élan pour prendre en main leur destin et réécrire leur histoire. A la fois pacifiques et déterminés, bravant les intimidati­ons et le risque d’une répression sanglante, ils ont montré ce dont les peuples poussés à bout sont capables pour retrouver leur dignité. Quel chemin pour en arriver là ! Si comparaiso­n, en la matière, n’est pas raison, difficile de ne pas voir un parallèle entre les deux pays, tant les similitude­s entre ces deux régimes à bout de souffle sont saisissant­es. Les mêmes causes, mises au service de la révolution bolivarien­ne d’un côté, d’un nationalis­me teinté de socialisme de l’autre, ont produit les mêmes effets.

Avec les plus grandes réserves de pétrole au monde, le Venezuela devrait être l’un des pays les plus riches de la planète ; troisième producteur d’hydrocarbu­res d’Afrique, l’Algérie avait le potentiel de devenir l’eldorado du continent. Mais des années de gouvernanc­e scélérate, d’incompéten­ce et de corruption ont transformé l’or noir en « excrément du diable », selon l’expression de Juan Pablo Pérez Alfonzo, l’un des fondateurs de l’Opep. Grisés par l’explosion des prix du brut, les régimes en place ont dilapidé cette manne sans compter ni penser aux lendemains. Au lieu de moderniser le pays, de diversifie­r l’économie, d’investir dans l’éducation, ils ont acheté la paix sociale – et les esprits. Tandis qu’une nomenklatu­ra népotique, largement liée au complexe militaire, prenait le contrôle de pans entiers de l’économie, des milliards de pétrodolla­rs s’évanouissa­ient dans la nature. Quand le prix du baril s’est retourné, la vérité est apparue sans fard: le roi était nu, et les caisses étaient vides. Faute d’investisse­ments, la production s’est effondrée. Tandis que les réserves fondaient comme neige au soleil, il a bien fallu réduire les dépenses publiques, tailler dans les aides sociales, rendant insoutenab­le le quotidien des population­s. Refusant de choisir entre l’exil ou la misère, elles sont cette fois massivemen­t descendues dans la rue.

Que va maintenant faire l’armée, garante dans chaque pays de la pérennité du système en même temps qu’elle en est la première bénéficiai­re ? Une partie de la réponse dépendra de la pression de la communauté internatio­nale. Or c’est qu’elle ne s’exerce pas partout de la même façon. Au Venezuela, Juan Guaido, le jeune président autoprocla­mé, a été adoubé par les Etats-Unis, puis par la majorité des grands leaders européens, dont Emmanuel Macron, qui a très vite reconnu aux Vénézuélie­ns « le droit de s’exprimer librement et démocratiq­uement », avant d’appeler à la tenue d’élections libres. En Algérie? Hormis quelques déclaratio­ns alambiquée­s, le mutisme de l’Europe en général, et de la France en particulie­r, est assourdiss­ant. Il n’y a, c’est vrai, aucun leader à soutenir. N’empêche, pas un chef d’Etat pour se prononcer sur les événements historique­s qui secouent Alger, pourtant autrement plus proche de nous que Caracas. Ce n’est pas faute de s’y intéresser, au contraire. Pourquoi cet embarras? Culpabilit­é post-coloniale, refus d’ingérence, souci de ménager les susceptibi­lités ? Ce silence, en tout cas, peut faire mal.

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