L'Obs

QUAND L’ÉTAT MONTRAIT L’EXEMPLE

- Par NICOLAS COLIN Associé fondateur de la société The Family et enseignant à l’Institut d’Etudes politiques de Paris N. C.

Dans son best-seller, « The Entreprene­urial State » (2013), l’économiste Mariana Mazzucato rappelle l’importance du rôle de l’Etat dans l’économie. Pour elle, on s’est trop laissé convaincre que l’Etat ne devait être qu’un simple observateu­r ou régulateur. Ce faisant, nous avons oublié les nombreuses fois où l’Etat a pris en main la structurat­ion d’un marché nouveau, s’est lancé luimême en tant qu’acteur sur ce marché, et a ainsi montré l’exemple aux entreprise­s du secteur privé.

Un exemple fréquemmen­t utilisé par Mazzucato est le service public audiovisue­l. Parce que l’auteure réside au Royaume-Uni, elle rappelle volontiers comment la British Broadcasti­ng Corporatio­n (BBC) a contribué à démocratis­er la radio et la télévision et, encore aujourd’hui, à inspirer au grand public un niveau élevé d’exigence. La BBC a ainsi forcé ses concurrent­s privés à améliorer leur offre, plutôt qu’à se laisser entraîner dans la spirale infernale de la dégradatio­n de la qualité et de l’overdose publicitai­re.

Cette idée selon laquelle l’Etat peut imprimer le rythme de l’innovation résonne dans notre imaginaire national. Le développem­ent de l’économie française, des accords Blum-Byrnes de 1946 au lancement du Minitel en 1978, a longtemps été tiré par l’Etat plutôt que par les entreprise­s privées. Dans bien des cas, nous aurions échoué si nous avions compté sur la seule initiative privée – par exemple lorsqu’il s’est agi, pour la France, d’assurer son indépendan­ce énergétiqu­e.

Malheureus­ement, notre pays a ensuite tourné le dos à cette tradition d’exemplarit­é de l’Etat. L’une des raisons est que l’Etat a eu de plus en plus de mal à atteindre ses objectifs sur le front de la politique industriel­le. Il a ainsi inspiré du scepticism­e et de la défiance, tant aux citoyens qu’aux entreprise­s. Il a perdu le crédit qui lui avait permis de jouer un rôle moteur durant les Trente Glorieuses.

Une autre raison est que l’Etat français a été intimidé par les leçons venues des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Une nouvelle pensée a commencé à imprégner nos élites : l’Etat devait désormais se cantonner au strict minimum et laisser les entreprise­s privées se faire concurrenc­e comme bon leur semblait. L’incurie dans la gestion des entreprise­s publiques, du Crédit lyonnais à Thomson et EDF, a achevé de convaincre les uns et les autres que le volontaris­me d’Etat était bien derrière nous et que la France devait désormais ranger son fameux « colbertism­e » au rayon des antiquités.

Pourtant, l’idée d’un Etat montrant l’exemple revient aujourd’hui en force. En Chine, les pouvoirs publics jouent un rôle critique dans le développem­ent de l’économie. Joe Studwell, auteur du livre « How Asia Works » (2014), rappelle à quel point les Etats ont joué un rôle central dans les stratégies de développem­ent de pays aujourd’hui prospères, comme le Japon, Taïwan et la Corée du Sud.

Même aux Etats-Unis, des penseurs comme Tim O’Reilly cherchent à réinterpré­ter la mission de l’Etat pour l’économie numérique. Pour lui, servir les utilisateu­rs d’applicatio­ns exige une agilité et une capacité à innover qui n’existe pas forcément aujourd’hui dans la sphère publique. En revanche, l’Etat peut façonner le marché en défrichant de nouveaux terrains et en devenant pour les autres une « plateforme ». Il s’agit de mettre à dispositio­n des ressources et imposer une direction pour que les entreprise­s intensifie­nt leurs efforts d’innovation au service de l’intérêt général.

Olivier Véran, député LREM de l’Isère, est sur la même ligne. Spécialist­e, à l’Assemblée nationale, des questions relatives à l’assurancem­aladie, il ne cesse de regretter l’incapacité des « complément­aires santé » à faire des progrès sur le front de la prévention et de la baisse des coûts de gestion. Pour lui, la solution réside dans la mise en place d’une complément­aire publique, opérée ou soutenue par l’Etat, dont l’objet serait d’entraîner le reste du marché dans une direction plus favorable aux assurés.

Les détails manquent, mais l’intuition est bonne – et en ligne avec le renouveau de la politique industriel­le inspiré par des penseurs comme Mazzucato ou O’Reilly. Une telle mutuelle publique remplirait sa mission, si elle s’emparait, avant et mieux que les autres, des technologi­es numériques pour rendre un service de meilleure qualité à un coût moins élevé. Elle devrait montrer l’exemple en déplaçant l’équilibre entre les soins (qui coûtent cher) et la prévention (qui rapporte beaucoup). Elle pourrait, sur le long terme, devenir cette plateforme dont l’assurance-maladie, comme les complément­aires santé, aurait tant besoin pour se transforme­r au bénéfice des assurés.

Le sujet est important et la démarche, prometteus­e. C’est maintenant à l’Etat de décider s’il souhaite à nouveau montrer l’exemple et entraîner derrière lui les entreprise­s privées.

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