L'Obs

Sophie Montel se met à table

Dans un ouvrage dévastateu­r*, la députée européenne balance sur le système Le Pen, dont elle a longtemps été un pilier. En exclusivit­é, “l’Obs” en publie les bonnes feuilles

- LUCAS BUREL et PAUL LAUBACHER

Tout au long de son récit, comme elle l’avait promis, la Montbéliar­daise tire à vue, éparpillan­t ses anciens compagnons de route frontistes puis « patriotes » (le parti de Florian Philippot) façon puzzle. On se demande presque comment la députée européenne – qui souhaite désormais quitter la politique – est restée près de trente ans dans ce parti où « tout le monde n’est pas fou, mais où tous les fous sont ». De la descriptio­n du système occulte mis en place pour capter l’argent européen au profit du FN, aux histoires de fesses au sein du parti, tout y passe. Au risque, à certains moments, de tomber dans un style crapoteux et méchant, que l’auteure dit assumer parfaiteme­nt, préférant parler d’un « solde de tout compte », plutôt que d’un « règlement de comptes ».

La fin des boules puantes pour Marine Le Pen et Florian Philippot ? Rien n’est moins sûr. L’élue collabore pleinement avec la justice dans le cadre de l’enquête qui cible l’utilisatio­n de fonds européens par le FN (voir extrait n° 1), et qui a entraîné une quinzaine de mises en examen, dont celle de Marine Le Pen. Le Rassemblem­ent national, ex-FN, n’est pas sa seule cible. Ses dénonciati­ons sont à l’origine des enquêtes qui visent aujourd’hui l’utilisatio­n des fonds européens par le MoDem et par les « insoumis ».

QUAND L’ARGENT DES PARLEMENTA­IRES EUROPÉENS FINANCE LE FN

Le 4 juin [2014], nous sommes invités à participer à une réunion à Bruxelles, officielle­ment pour satisfaire aux obligation­s administra­tives du Parlement européen [Le FN vient de remporter les élections européenne­s avec 25,4% des voix : il a obtenu 24 sièges et des subvention­s publiques, NDLR]. Marine Le Pen reprend alors le crachoir et se met à évoquer en détail les moyens financiers dont nous disposons en tant que députés européens. Elle prend soin avant de commencer de faire sortir des membres du staff. Reste Charles Van Houtte qu’elle nous présente comme celui qui connaît par coeur les rouages du Parlement et qui saura répondre à toutes nos questions pratiques. Son sourire en coin me laisse penser qu’il doit s’y connaître en « rouages en tous genres ». Charles Van Houtte est décrit par la présidente comme un pilier qui accompagne les élus FN au Parlement européen depuis des lustres ou presque. Marine Le Pen, sans doute transporté­e par les résultats du 25 mai, nous lance alors d’un ton sec : « Comme vous le savez, les députés européens, contrairem­ent aux élus régionaux FN, ne reversent pas une partie de leurs indemnités au parti. On ne vous ponctionne­ra pas votre indemnité, soyez rassurés (rires dans la salle). En revanche, chacun d’entre vous dispose d’une enveloppe budgétaire pour embaucher ses assistants. Je vous indique donc que vous aurez le choix de recruter par vous-même un assistant et que le reste de votre enveloppe d’assistance parlementa­ire sera mis à la dispositio­n du mouvement.

“J’EN AI RIEN À FOUTRE DE BRIGITTE BARDOT !”

Fin mai 2016, en début de soirée, je reçois un coup de téléphone de Brigitte Bardot. Elle est très en colère et attristée, car elle vient d’apprendre que Marc-Etienne Lansade, le maire FN de Cogolin, organise un Salon de la Chasse le 5 juin […]. Elle me demande de faire quelque chose pour empêcher cela, d’intercéder auprès de Marine Le Pen. […] J’ai un haut-le-coeur en raccrochan­t car je sais ce qui attend Brigitte Bardot, une désillusio­n de plus. Dès le lendemain, j’informe Florian Philippot et le préviens que j’ai l’intention de balancer un communiqué avant le Salon de la Chasse de Cogolin. Il est embêté. Quelques jours passent, je suis à mon bureau à Bruxelles […]. Mon portable vibre, c’est Marine Le Pen. Je décroche, consciente de la flopée d’invectives qui va me tomber dessus. Pas de bonjour, mais des hurlements ! C’est simple, tout le monde l’entend, pas besoin de mettre le haut-parleur. J’éloigne d’ailleurs un peu mon portable de mon oreille droite pour ne pas me retrouver avec un tympan crevé. Je retiendrai – ou plus exactement nous retiendron­s – ces mots : « Vous en avez pas marre d’éplucher les poils du cul des maires FN ? » Et quand je lui ferai remarquer calmement que Brigitte Bardot est blessée, un spectacula­ire « J’en ai rien à foutre de Brigitte Bardot ! » jaillira, glacial et brutal.

PERSONNE NE VEUT GAGNER LES ÉLECTIONS

Jean-Marie Le Pen devrait être rassuré, il n’est pas le seul dans ce parti à n’avoir jamais voulu du pouvoir. Au FN, la direction se contrefich­e du véritable pouvoir politique, parce que l’opposition est somme toute plus rentable et confortabl­e, elle n’oblige pas aux mêmes responsabi­lités, aux mêmes devoirs, aux mêmes sacrifices. Pas d’actes d’abnégation. Bruno Bilde, le « conseiller spécial » de Marine Le Pen ne dit d’ailleurs rien d’autre. Combien de fois l’ai-je entendu s’exclamer, l’air inquiet et désabusé : « Si demain nous venions à emporter l’élection présidenti­elle – sur un malentendu on ne sait jamais – nous serions forcés de partir en moins de six mois dans un grand éclat de rire général.”

“IL Y A CETTE MARCHE POUR LA VIEILLE… QUELLE VIEILLE ? MIREILLE KNOLL!”

28 mars 2018, marche blanche consécutiv­e à l’assassinat antisémite de Mireille Knoll. Florian Philippot m’informe ainsi qu’il va y aller: « Tu sais il y a cette marche pour la vieille… » Je le coupe pour en avoir le coeur net : « Quelle vieille ? » « Tu sais celle qui s’est fait assassiner ! » « Mireille Knoll ! Tu parles comme ça de ta grand-mère ? “La vieille” ? » Face à ma réaction, il se reprend « Non, bien sûr, je ne voulais pas dire ça comme ça… ». Résultat, il ira défiler accompagné de Kelly Betesh, Thomas Laval et Joffrey Bollée. Il répondra aux journalist­es, ils feront des selfies l’air grave qu’ils publieront illico sur Twitter et Facebook, et après 300 mètres de marche, ils bifurquero­nt dans une ruelle […]. Avertie du sketch, je demanderai à Florian Philippot d’envoyer au moins ses condoléanc­es au fils de Mireille Knoll. « Ah oui, bonne idée ! » me répondra-t-il évasif. J’ose croire qu’il l’a fait. Il sera en revanche intarissab­le concernant l’accueil chahuté de Marine Le Pen lors de la marche blanche. Il riait, mais riait! Comme si l’essentiel résidait dans l’accueil réservé à Marine Le Pen par le CRIF. » © Editions du Rocher. (*) « Bal tragique au Front national. Trente ans au coeur du système Le Pen », par Sophie Montel, sortie le 13 mars. Les intertitre­s sont de la rédaction.

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 ??  ?? Florian Philippot, leader des Patriotes, lors de la marche blanche organisée en souvenir de Mireille Knoll, le 28 mars 2018 à Paris.
Florian Philippot, leader des Patriotes, lors de la marche blanche organisée en souvenir de Mireille Knoll, le 28 mars 2018 à Paris.

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