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EDMONDE, PAR DOMINIQUE DE SAINT PERN, STOCK, 416 P., 21,50 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Et dire que c’est seulement le premier volume. Et qu’il ne couvre que les années 1938-1944… Si l’on doutait encore qu’Edmonde Charles-Roux, disparue en janvier 2016, à 95 ans, fût inspirante, en voici la preuve. A la fois portrait d’une femme hors du commun, qui refusa toujours d’écrire ses Mémoires (était-ce pour mieux étourdir ses futurs biographes?), roman d’une « grande famille » (au sens où l’entendait Maurice Druon, qu’elle aida à composer « les Rois maudits »), et chronique extravagan­te d’une époque que Louis Aragon, autre de ses amis, appelait « un temps déraisonna­ble », le livre de Dominique de Saint Pern, qui mêle tous les genres, est un chaudron magique. Une enchantere­sse en sort. A moins de 20 ans, Edmonde la bien née est déjà une irrégulièr­e : fille d’un ambassadeu­r de France, natif de Marseille, qui lui a fait découvrir le monde, elle serait devenue duchesse de Sermoneta, princesse de Bassiano, si son fiancé, Camillo Caetani, n’avait été tué, en 1940, sur le front albanais, par des soldats grecs. Sept mois plus tôt, elle-même avait échappé à la mort dans l’hôpital militaire de Bras-sur-Meuse, où elle servait comme infirmière-ambulanciè­re de la Croix-Rouge, que la Luftwaffe avait bombardé sans scrupule. Après quoi, elle partit skier à Megève. Car telle était, alors, la jeune Edmonde. Aussi à l’aise en uniforme kaki, augmenté d’une croix de guerre, qu’en fuseau ou en robe longue, dans les salons parisiens que dans le parc de la Villa Séréna, le petit château phocéen de sa famille. En deuil de Camillo Caetani et déjà prête à épouser Roger de Vilmorin. Sportive, cultivée et formidable­ment courageuse : à la fin de ce volume, en août 1944, elle est convoquée à Aix-en-Provence par le général de Lattre, surnommé par elle « M. Dare-Dare », qui l’intègre à son cabinet militaire avant de l’affecter, comme assistante sociale divisionna­ire, à la 5e DB. Elle n’a que 24 ans, mais elle est déjà Edmonde Charles-Roux. Une intrépide dont l’incroyable destin s’est forgé pendant ces années noires. Elle voit son père, ambassadeu­r auprès du Saint-Siège, être menacé par Mussolini, puis introduit à Vichy, comme éphémère secrétaire général aux Affaires étrangères, poste dont il démissionn­e avec fracas pour marquer son opposition à Laval. Elle part aussi pour Bruxelles afin de venir en aide à sa soeur, Cyprienne, maîtresse du gendre de Mussolini et femme du prince del Drago, ambassadeu­r d’Italie que les Chemises noires pourchasse­nt parce qu’il s’est rangé derrière le roi Victor-Emmanuel III. Tout cela est fou, d’une violence inouïe, et pourtant, Edmonde garde son calme, sa grâce, sa hautaine élégance, feignant d’être l’organisatr­ice des mystères qui la dépassent. Trois ans après sa disparitio­n, elle méritait bien ce roman chauffé à blanc qui lui ressemble.

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Edmonde Charles-Roux à Rome en 1938.

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