“Non à l’abandon dans un no man’s land judiciaire”
Xavier Nogueras est avocat pénaliste, ancien secrétaire de la Conférence du Barreau de Paris. Depuis 2014, il a défendu plusieurs dizaines d’individus impliqués dans les filières du terrorisme islamiste.
La France doit-elle faire revenir les djihadistes ou les laisser sur place ? Le rôle d’un avocat n’est pas de donner son avis sur la politique internationale ou la stratégie de notre pays, mais d’être simplement l’avocat du droit. L’issue de la situation à laquelle nous sommes confrontés doit évidemment être celle d’un procès en France et non pas l’abandon de ces individus dans un no man’s land judiciaire, d’autant qu’ils réclament eux-mêmes de pouvoir être soumis à la procédure pénale française. Ce qu’ils veulent n’est pas de s’en sortir sans avoir le moindre compte à rendre, mais de répondre de leurs actes dans un Etat de droit. Combien de combattants seraient concernés, selon vos estimations ? Les informations sont contradictoires. Il apparaît simplement que plusieurs d’entre eux sont déjà connus de la justice française et même visés par des mandats d’arrêt internationaux. De retour en France, ils seraient donc directement placés en détention sans même qu’une garde à vue ne soit nécessaire. En réalité, à leur retour, il n’y a pas d’autre issue que la judiciarisation pour les adultes et le placement pour les enfants. Vos clients actuels sont incarcérés dans plusieurs établissements pénitentiaires français. Les détentions présentent-elles les garanties nécessaires en termes de sécurité et d’éventuelle réinsertion ? L’organisation et la prise en charge sont désormais meilleures, que ce soit dans les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) ou dans les quartiers de prise en charge de la radicalisation. Il faut cependant reconnaître que la réinsertion n’est à ce stade qu’une option lointaine. On n’en est pour l’instant qu’à la phase de la neutralisation temporaire. L’incarcération a pour but de contenir les individus. Cette mission est menée par l’administration pénitentiaire à titre principal. Sans judiciarisation en France, quelle autre option peut être envisagée ? La seule qui semble être proposée est de reconnaître la compétence de l’Etat irakien à juger les djihadistes étrangers, mais cela n’est pas satisfaisant. Il faut savoir que la justice irakienne a déjà pu imposer la peine de mort ou des peines de réclusion à perpétuité, à l’issue de procès qui durent vingt minutes, sans avocats ou avec des avocats qui n’ont pas pu consulter le dossier de façon complète. Ces procédures n’offrent pas la garantie d’un procès devant un tribunal indépendant, impartial et basé sur les fondements prévus par notre Constitution et la Convention européenne des Droits de l’Homme. Enfin, la présence de l’avocat français ne suffirait pas à garantir l’équité du droit, car il faut prendre en compte les barrières de la langue, du droit et du temps passé. Arguer que les avocats français pourraient se rendre sur place pour assister leurs clients est donc une farce.