Une folie de 14 heures!
LA FLOR, PAR MARIANO LLINÁS. FILM ARGENTIN, AVEC ELISA CARRICAJO, VALERIA CORREA, PILAR GAMBOA, LAURA PAREDES (13H34).
« La Flor » est un objet filmique à nul autre pareil. Venu d’Argentine, il dure près de 14 heures, réparties en quatre films à découvrir absolument dans l’ordre des sorties (à raison d’une par semaine entre le 6 et le 27 mars). Des films regroupant six histoires distinctes, de durée inégale, auxquelles il convient d’ajouter un générique de près de… trois quarts d’heure. Un projet fou, extravagant et ludique, né de la rencontre entre un metteur en scène de cinéma argentin, déjà adepte des films fleuves (son précédent durait cinq heures), et un collectif de quatre comédiennes venues du théâtre. Les cinq réunis par le désir de faire du cinéma autrement tant dans sa structure narrative que dans sa conception formelle. L’expression d’une résistance artistique et politique aux productions interchangeables et policées qui envahissent les salles du monde entier. C’est ainsi que, narquois, Mariano Llinás refuse de boucler ses récits. Il commence par quatre histoires qu’il interrompt sans prévenir en plein suspense. Il poursuit avec la seule histoire complète, avant de conclure par un récit achevé, mais auquel manque le début. Polar, faux films d’auteur, romance musicale, remake ou encore horreur, Llinás pioche dans tous les genres possibles. Au bout du compte, « la Flor » est une oeuvre protéiforme, formidablement pensée et construite, qui joue avec le spectateur tandis que ce dernier est sollicité pour jouer avec elle. En nous confiant les règles de ce jeu au cours d’un prologue alléchant, le cinéaste nous rend complice et actif au coeur des récits. On s’amuse ainsi à essayer de deviner à quel moment telle ou telle histoire va s’arrêter brutalement pour basculer dans un autre film. Notre mémoire cinéphile est également sollicitée avec un bel hommage à « Une partie de campagne » de Renoir. Et on se régale d’une savoureuse mise en abyme très godardienne du septième art lorsque, dans une des histoires, les actrices se rebellent contre le cinéaste et l’envoient filmer des arbres, seule chose selon elles qu’il soit capable de faire correctement. Llinás crée ainsi un feuilleton survolté et ludique qui tient autant de la série littéraire et télévisuelle (qu’il assure détester mais dont il emprunte les codes avec gourmandise) que du cinéma le plus magique et le plus inventif.