Dessine-moi un défilé
Pour magnifier l’univers de la mode, la presse comme les marques ont de plus en plus souvent recours aux illustrateurs aux dépens des photographes
Ils sont quelques-uns assis parmi la foule d’invités, de clients fortunés et de professionnels de la mode. Comme eux, ils ont les yeux rivés sur le défilé de silhouettes. Au bout du podium, des dizaines de photographes, regroupés sur une estrade, mitraillent les mannequins. Eux font exactement le contraire : ils observent et sélectionnent une tenue en fonction de sa beauté et de ses couleurs. Sur un carnet de croquis, chacun la reproduit à coups de crayons et de feutres, selon son style. Depuis quelques saisons, ces illustrateurs et dessinateurs sont de plus en plus nombreux à Paris, Milan, Londres et New York.
Jusqu’à peu, le dessin était avant tout l’oeuvre du couturier, rebaptisé, tiens, tiens, designer à l’anglo-saxonne depuis quelque temps. Ses dessins destinés aux seules équipes de la marque constituaient le point de départ d’une collection, autant un modèle à suivre pour la fabrication que l’esprit de celle-ci, sa couleur. Ainsi, ce n’est pas un hasard si, le 21 février dernier, on distribuait aux invités du défilé Fendi à Milan des croquis réalisés par Karl Lagerfeld, décédé deux jours plus tôt à Paris, pour illustrer « la plus longue histoire d’amour de la mode », selon les mots de Silvia Venturini Fendi, petite-fille des créateurs. Une histoire riche de cinquante-quatre années de collaboration entre le couturier et la marque italienne avec, à chaque saison, des coups de crayons pour relier les deux colosses.
UNE VRAIE RESPIRATION
Désormais, on retrouve les esquisses à l’autre bout de la chaîne de fabrication, destinées à être vues par le plus grand nombre. La presse tout d’abord y voit un moyen de sortir du tunnel de photos de mode qui, à chaque saison, vient envahir ses pages. « Il y a une plus grande appréciation du travail croqué, peint ou dessiné, confirme Damien Cuypers, artiste français installé à New York qui vit de ses dessins depuis 2012. Certains décideurs de la presse et de l’industrie apprécient la respiration, la chaleur qu’offre le dessin par rapport à la photo. Mais attention le recours à un illustrateur revient aussi moins cher que la production d’une photo exigeant un studio, un styliste, un assistant, des retouches…»
Caroline Andrieu, directrice artistique et graphiste française diplômée de l’Ecole professionnelle supérieure d’Arts graphiques et d’Architecture, a travaillé une dizaine d’années pour la presse et sur le web, avant de se concentrer sur son travail d’illustratrice : « Le dessin multiplie les avantages, il est à la fois plus chaleureux, plus créatif et plus personnel. A force de retouches, la photo finit par apparaître comme fausse, froide. Certaines marques l’ont compris très tôt, comme Prada et Gucci. Avec elles, nous sommes d’ailleurs souvent traités comme des artistes à part entière. » Une fois par semaine, celle qui collabore aussi bien à « Grazia » qu’à « Wallpaper » se rend à l’Académie de la Grande Chaumière afin de parfaire son art sur des modèles vivants.
Comme souvent, c’est le magazine « New York » qui a montré la voie. Dès 2012, l’illustratrice Samantha Hahn couvre avec ses aquarelles et son chevalet la fashion week américaine. Aujourd’hui, la presse et les marques peuvent faire appel à elle pour du live painting, des dessins de nourriture, de la typographie, du dessin réalisé à la palette graphique ou des imprimés pour papiers peints. Parmi ses clients, on trouve le « New York Times », la marque de J.Crew ou l’éditeur Random House.
Plus récemment, le supplément week-end du quotidien économique « les Echos » a fait appel à l’illustratrice Rosie McGuinness pour ses pages mode. « Le recours à l’illustration s’explique à la fois par la conception du magazine, par le fait que nous bouclons avant les défilés et parce que cela nous permet de mettre en avant une signature, un style », déclare Alice Lagarde, directrice artistique adjointe de la publication. Rosie McGuinness est, elle, représentée par trois agents, un pour les Etats-Unis, un pour la France, un dernier pour le Royaume-Uni et le reste du monde, sans compter la galerie londonienne qui vend ses oeuvres.
A Paris, elle fait partie d’une équipe de 17 illustrateurs – 15 femmes et deux hommes – pilotée par Kajsa Leanderson. « J’ai
“Certaines marques nous traitent comme des artistes à part entière” CAROLINE ANDRIEU, ILLUSTRATRICE