Il y a presque vingt ans, cette ancienne cité de l’acier était déclarée commune la plus pauvre de France. En 2017 et 2018, le photographe Vincent Jarousseau a posé son regard sur ses habitants qui, en pleine crise sociale, se battent pour continuer de vivre normalement. Sous la forme d’un roman-photo, il raconte leur histoire
D ans les années 1970, Denain était une ville au coeur d’acier qui vivait à l’ombre du géant Usinor. Alors, quand les hauts fourneaux se sont éteints, quand les laminoirs se sont tus, après la rage et la consternation, il a fallu recommencer une autre existence. En 2016, pendant la campagne présidentielle, le photographe Vincent Jarousseau s’est installé dans cette cité. Il publie aujourd’hui, aux éditions Les Arènes, « les Racines de la colère ». Ce roman-photo documentaire fait suite à celui qu’il avait consacré, en collaboration avec l’historienne Valérie Igounet, aux électeurs du Front national (« l’Illusion nationale »). Pendant deux ans, il a vécu aux côtés des habitants de Denain, partageant leurs colères, leurs luttes, leurs rêves. Leurs histoires ne se ressemblent pas. Certains n’ont que les minima sociaux pour vivre, d’autres suivent des formations. Et puis il y a ceux qui ont des métiers, comme Tanguy qui parcourt 500 kilomètres chaque nuit dans son fourgon de livraison, comme Adrien, contraint de quitter régulièrement sa femme et ses enfants pour aller sur des chantiers aux quatre coins de la France ou plus loin encore. Le chômage est rude, le boulot, d’une autre manière, l’est aussi. La famille est un socle, un refuge qui permet de tenir le coup. « Heureusement que tu es là pour me donner de la nourriture », dit Loïc à sa mère qui lui répond : « C’est normal, tu es mon fils. » Tous ou presque suivent le mouvement des « gilets jaunes », rejetant cependant ses violences. Au contact de ces vies, Vincent Jarousseau évite l’écueil de l’empathie angélique : les paroles prononcées par ses personnages (et qui figurent dans des bulles, comme dans une bande dessinée), les images de leur quotidien composent un récit dont les chapitres dessinent celui d’une France démunie. L’espoir fait vivre, dit-on. A Denain, on vit, c’est tout.
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Je suis l’aîné de la famille, j’ai une responsabilité vis-à-vis de mes frères et soeurs. je dois leur montrer l’exemple, leur montrer les bonnes choses, les aider quand ils ont besoin. Il faut être sérieux si on veut réussir dans la vie. je veux trouver un boulot, même si c’est pas dans ma branche. J’ai déposé des CV dans les entreprises du coin, répondu à des annonces sur internet. Sans succès pour le moment.
Tanguy a passé son permis de conduire dès l’âge de 18 ans. Il l’a nancé seul grâce à des petits boulots d’été. Mon père m’a transmis la passion des voitures et du tuning. C’est moi qui me suis payé la Fiesta avec l’argent gagné pendant l’été. Elle est plutôt ancienne mais on l’a sacrément arrangée.
Juillet 2017. Tanguy apprend qu’il a obtenu son BTS Maintenance industrielle. J’envoie un sms à mes parents. Je suis tellement content !
On aime bien sortir entre nous, en famille uniquement. On a des amis mais on a pas toujours confiance.
Le Rieulay, c’est qu’à 20 minutes de chez nous, mais ça nous change. On a notre petit coin, ici c’est tranquille.
Diplôme en poche, Tanguy prote un peu de l’été. Il n’est jamais parti en vacances, que ce soit seul ou en famille. Mais la voiture lui offre la possibilité de sortir un peu de Denain. Avec Manon, son frère Rodrigue et son cousin Allan, ils se rendent au Rieulay, une base de loisirs aménagée sur d’anciens terrils. Ils ont prévu de récupérer des petits cousins et cousines de Manon.
Septembre 2017. Tanguy vient d’être embauché en CDD dans une entreprise de transports en travail de nuit. La journée, il dort, puis sort faire les courses avec Manon au supermarché de Denain, en chassant les promotions. Je travaille la nuit, après ça dépend des tournées. Je livre en moyenne une tonne et demie de brioche et de pain dans tout le nord de la France. Selon les nuits, je peux parcourir jusqu’à 500 km !
C’est vrai que c’est fatigant, il n’y a pas grand monde qui tient sur ce poste. 42 heures par semaine, pour 10 euros de l’heure et une seule nuit de repos, le samedi. C’est pas facile. J’aimerais bien que, là-haut, ils nous reconnaissent un peu. 1 500 euros par mois pour autant de travail, c’est pas cher payé ! Mais bon... Au moins je suis pas à l’usine, avec un chef sur le dos... Ici j’ai ma liberté.
Je livre dans des maisons de retraite, des hôpitaux, des écoles, une prison. Entre le retrait du camion à la sortie de la ville, son chargement sur le quai d’une usine à Maubeuge et les livraisons minutées vers tous les points de livraison, j’ai pas le temps de m’ennuyer.
C’est une grosse tournée ! J’ai 25 points de distribution, la nuit va être longue.