Un New Deal vert, vite !
Alertez les bébés! » s’enrouait Jacques Higelin il y a une quarantaine d’années. Aujourd’hui, ce sont les bébés qui nous alertent. Enfin, les ados plutôt: ces « acteenvistes », comme on les appelle parfois (« teen » pour « teenagers » : « ados »), auxquels nous consacrons notre couverture (lire p. 26). Ce vendredi, dans de nombreux pays, collégiens et lycéens protesteront contre le réchauffement climatique. A Paris, samedi, ils marcheront avec tous ceux qui entendent bousculer les gouvernements pour qu’ils agissent enfin. Jusque-là, la réponse de ces derniers est loin d’être à la hauteur de l’urgence.
Il reste très peu de temps pour éviter le désastre. La concentration en CO2 dans l’atmosphère a atteint en mars un niveau jamais vu depuis deux millions d’années selon le dernier relevé de l’observatoire du Mauna Loa. Et à écouter les spécialistes du Giec (Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), la fenêtre pour reprendre le contrôle des émissions de gaz à effet de serre et éviter un réchauffement de plus de 2 °C qui ruinerait la planète sera refermée en 2030. Il ne nous reste que onze ans pour éviter l’irrémédiable.
Rien n’empêche les humains de stopper cette folle mécanique, s’ils décident de s’en donner les moyens et de bousculer leurs vieux modèles. Mais cela ne passera que par des mesures chocs. Aux EtatsUnis, l’énergique et mordante députée démocrate de 29 ans, Alexandria OcasioCortez, promeut un « Green New Deal ». L’expression n’est pas choisie au hasard. Lorsque, au plus fort de la crise des années 1930, les Etats-Unis semblaient sombrer – aucune des recettes économiques traditionnelles ne donnant de résultats –, Franklin Roosevelt avait engagé, au pas de charge, une politique très audacieuse et peu orthodoxe : le New Deal. Il a fait adopter en trois mois plus de réformes que son prédécesseur Herbert Hoover en quatre ans. Grâce à de nouvelles réglementations, il a maté les marchés financiers, restauré la confiance, ouvert la voie aux Trente Glorieuses… Un « Green New Deal » s’inscrirait dans cet esprit de mobilisation générale: il s’agirait d’investir massivement pour décarboner l’économie. Conçu pour être mis en vigueur en quatrevingt-dix jours (une autre référence à Roosevelt), ce projet doit être finalisé début 2020… année présidentielle.
Grâce au Green New Deal, qui lie intimement transition écologique et justice sociale, la gauche américaine relève la tête. Pendant ce temps, en Europe, la classe politique semble paralysée. Face au chaos qui vient, ses ambitions affichées restent poussives. Le sursaut viendra-t-il de la société civile, des jeunes, des ONG, des syndicats, de ces fameux corps intermédiaires qu’a jusque-là dédaignés Emmanuel Macron? Soutenu par 66 organisations, le Pacte social et écologique, présenté la semaine dernière dans « le Monde » par Laurent Berger (CFDT) et Nicolas Hulot, peut le laisser espérer. L’esprit est le même que le Green New Deal et le projet passe, lui aussi, par un mégaplan d’investissement (énergies renouvelables, transports propres, économies d’énergie, agriculture durable…) qui devra s’affranchir des critères budgétaires maastrichtiens. Astronomiques, les montants des plans chocs pour forcer la voie vers un monde décarboné font très peur. Mais ces investissements ne feront que des gagnants pour les générations futures. Et puis, quelle est l’alternative, quand la sécheresse gagne du terrain, quand les espèces disparaissent, quand, pour reprendre une image utilisée par Jacques Chirac en 2002 (dix-sept ans déjà!), la maison brûle ? Continuer de regarder ailleurs?